Si les vins rosés d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui, à la couleur toujours plus pâle, ils traduisent toujours une recherche de modernité.
Leur insolente croissance répond à une clientèle décomplexée, souvent néophyte dans le monde du vin.
Après la découverte, les cavistes jouent leur rôle et accompagnent les consommateurs dans leur plongée dans le grand bain, à la rencontre de toute la diversité cachée de ces rosés.
Les opinions de plusieurs de ces prescripteurs …
Depuis deux ans, le Centre du rosé, situé dans le Var, constate une évolution des types de rosés, évolution jusque-là pressentie mais qui se traduit aujourd’hui dans les chiffres : baisse du degré alcoolique, stabilité de la teneur en sucre et de l’acidité totale, mais progression de l’acide malique (fraîcheur) au détriment de l’acide tartrique (astringence), sans oublier une intensité colorante divisée par 2 en 10 ans et la recherche de nouvelles expressions aromatiques, avec un travail important sur le fruit. « Toutes les régions cherchent à améliorer le caractère aromatique de leurs rosés », note Gilles Masson, directeur du Centre du rosé. « Heureusement, chaque pays a encore une palette aromatique qui lui est propre, avec des profils olfactifs différents. »
Mais ce travail sur la notion gustative et les saveurs va monter en puissance dans les prochaines années : « L’expression aromatique est très liée à la notion de terroir. Le rosé a des équilibres et des structures différentes qui sont l’émanation du terroir, nouveau cheval de bataille des rosés, avec la montée en puissance des cépages oubliés et de la création variétale qui ne sont pas que l’apanage des blancs ou des rouges », résume Gilles Masson.
Ces constats posés au niveau de la production, qu’en est-il réellement du côté des consommateurs et notamment de ceux qui visitent les cavistes ?
Des vins attractifs et attrayants
« Cela fait déjà une dizaine d’année que le rosé est sorti de l’ombre, une dizaine d’années qu’il surfe sur des niveaux de consommation chaque année plus importants. C’est la conséquence d’un travail de fond mené par le CIVP qui a mis en valeur à la fois un type de vin, mais aussi une nouvelle génération de consommateurs jusque-là occasionnelle : les femmes », note Patrice Jérôme qui, en tant qu’ex-directeur des Caves et Domaines de Régusse, ajoute au regard de producteur celui de responsable d’un réseau Cavistes. Il est aussi trésorier du Syndicat des Cavistes Professionnels. Pour lui, la gente féminine qui trouvait « plus facilement son goût » sur les vins blancs, élargit désormais sa palette avec les rosés. « Les producteurs ont su voir cela et y ont répondu en marketant différemment ces rosés, avec des visuels plus attractifs et attrayants. »
L’autre explication pour Patrice Jérôme se trouve dans l’élargissement de la palette proposée aux consommateurs : « De nouvelles régions, en capacité de proposer très rapidement des volumes importants, ont investi le segment des rosés, notamment le Languedoc et Bordeaux », venus titiller le marché jusque-là aux mains de la Provence. Par ailleurs, les technologies ont soutenu ce développement et l’ont même amplifié : « Les vignerons ont adapté leur élaboration, avec des récoltes de nuit et des stabilisations à froid pour avoir des raisins, puis des vins, les plus frais possibles, aidés en cela par des cuves à basse températures pour conserver le plus possible les arômes pré-fermentaires et faire des vins plus aromatiques. » Résultats : des vins plus pâles, développant des arômes thiolés, aux notes de pamplemousse, d’agrumes et de fruits exotiques.
Le rosé, « ce n’est pas du vin » !
À l’entendre, c’est donc à la production que l’on doit le développement des rosés en France. C’est peut-être sous estimer une dynamique commerciale qui a pourtant été, dès le début des années 90, largement portée, voire créée, par la grande distribution et ses opérations commerciales permettant d’offrir à des consommateurs une alternative à des ventes de vins en perte de vitesse. Une réussite puisqu’il se vend aujourd’hui du rosé toute l’année, « ce qui n’était pas le cas il y a de cela 7-8 ans. Les vignerons ont saisi ce nouvel espace d’expression pour être plus fantaisistes, en accord avec ce qui reste un fondamental : le rosé est d’abord un produit festif, d’été, décomplexé qui a su trouver des consommateurs plus jeunes et moins ancrés dans le classicisme », résume Patrice Jérôme.
Pour Stéphane Profit, caviste à Colombes (92), l’explication est ailleurs : « Mon sentiment ? Pendant longtemps, le rosé n’a pas été considéré comme étant du vin. Et comme il y a de moins en moins de consommateurs de vin, et que le rosé n’est pas un vin, eh bien les non-consommateurs de vin sont allés chercher autre chose qui n’était pas du vin, donc du rosé : une boisson plaisir, rafraîchissante. »
Une consommation annualisée
Mais ce vin-qui-n’en-est-pas-un reste climato-dépendant, même si, là aussi, les choses évoluent. « La consommation s’annualise, mais je note que les consommateurs ont plusieurs entrées pour choisir leurs cuvées. » Il y a d’un côté les rosés « fun et pas chers », entre 5 et 10 €, et de l’autre, les rosés « standing », type Bandol, Sancerre, bref, des appellations plus prestigieuses. « Là, on entre dans des codes plus statutaires. »
Mais le cœur de gamme reste aux mains de la Provence, « une demande forte des clients » où les critères de choix restent la couleur pâle et le degré. « La demande est là même si c’est d’une bêtise absolue ! Or, un rosé très pâle, type vin blanc, en termes d’accord mets et vin, c’est quand même mieux avec un poisson. Mais non, c’est pour un barbecue ! C’est là que l’on entre en jeu, pour les amener vers d’autres types de rosés. J’ai personnellement poussé le clairet. Au début, ils sont surpris, mais une fois le test fait, ils comprennent mieux. »
Pour le caviste de Colombes (92), la notion aromatique n’est pas encore un critère revendiqué. « C’est plus nous qui leur proposons en les amenant vers des rosés épicés sur un tajine, puissant sur une viande ou aromatique pour un plat exotique. »
Alcool et couleur, l’association inconsciente
Que ce soit à région parisienne ou dans le Puy-de-Dôme chez Stéphane Alberti, le caviste d’or 2014, le degré, plus que le terroir, fait aussi parler. « Le consommateur a tendance à associer alcool et couleur, de façon inconsciente sans doute. Le réchauffement climatique aussi leur pose question. À nous de leur expliquer que le fait d’atteindre la maturité phénolique peut aussi se faire avec des vins inférieurs à 13,5°C. »
Porté par une image fun et décomplexé, les rosés travaillent aussi leur image et leur contenant. Bib et magnum continuent de se développer car ils sont « parfaitement dans la mouvance de l’image portée par les rosés. Une consommation festive et conviviale », poursuit Stéphane Profit, avec des étiquettes déconnectées des codes plus traditionnels, « plus fantaisistes, avec des bouteilles élancées, très design » relance Patrice Jérôme. Ce dernier reconnaît que le format 75 cl continue à bien se porter, mais dans un style peut être « plus maîtrisé, car derrière il existe des appellations qui imposent quand même un certain classicisme ».
Montée en gamme…
Que ce soit sur le contenu ou le contenant, les consommateurs de rosés veulent avant tout du festif. « De nombreux fournisseurs se sont mis à proposer une gamme rosé en Bib. Chez nous, c’est entre 5 et 7% de croissance par an », note Patrick Fargeot, acheteur du réseau La Vignery (13 magasins).
Chez Bruno Quenioux, gérant de PhiloCave à Paris mais également co-associé du nouveau réseau de Cavistes BiBoViNo, le rosé représente 1/5e de l’offre (exclusivement des Bib). « Le rosé, c’est toute l’année maintenant. Mais je note une montée en gamme, les consommateurs étant désormais prêts à mettre 20 € pour une Bib de 3 litres, ce qui n’était pas le cas avant. » Pour le caviste parisien, le rosé est entré « dans une nouvelle ère », avec la croissance d’une offre nationale et un style plus frais. « Les rouges vinifiés qui endormaient les papilles, c’est fini ! Inconsciemment les consommateurs se sont éloignés de ces vins noirs, épais, taniques qui fatiguaient à table. Aujourd’hui, ils veulent de la fraîcheur, du dynamisme, y compris en rouge. Il suffit de voir le retour des rouges du Jura. Ou la marche arrière des vins du Languedoc, autrefois très chargés, aujourd’hui sur des vins plus frais. »
… et retour du terroir
Mais pour ce caviste parisien, cette mode rosé est d’abord « la conséquence d’une tendance beaucoup plus large. Dans les années 80, on a perdu le terroir. Aujourd’hui, on y revient, y compris en rosé. Les vignerons savent faire des rosés de très haute qualité, avec des domaines qui n’hésitent plus à segmenter leur parcellaire et à orienter les vignes sur des terroirs très frais pour les rosés, élaborés avec la même rigueur que les autres vins. Cela donne aussi un nouvel élan qualitatif intéressant. On sent pointer cette notion de terroir qui va venir répondre cette fois à des amateurs de vins, alors que peut-être la première salve de développement du rosé s’intéressait davantage à des consommateurs occasionnels, voire pas consommateurs du tout. »
Sans l’acidité du blanc ou l’amertume du rouge
En Bretagne par contre, chez Dominique Le Clerc où le rosé représente 8% du chiffre d’affaires avec là aussi une consommation annualisée, l’explication est ailleurs : « Quand on passe du coca et des sodas au vin, on cherche d’abord un vin passe-partout et sucré, sans l’acidité du blanc ou l’amertume du rouge. On a aussi une clientèle pour des rosés sucrés de Loire ou du Sud-Ouest à base de muscat, en apéritif ou en dessert (lire encadré, ndlr). Mais pour cette nouvelle clientèle qui méconnaît le vin dans son ensemble, peu importe le degré, la couleur, le terroir. Le marketing par contre… après, le rosé n’est pas un vin de femme, c’est d’abord un vin « rayon de soleil ». Et quand un client entre en demandant un Provence très clair, il repart souvent avec autre chose, car on lui a demandé avec quel plat il allait et on a fait notre travail ! ».
Pour faire découvrir à sa clientèle les nouveaux terroirs en développement, le caviste de Plérin va d’ailleurs faire un « match Provence/Languedoc », lors de ses dégustations de juin. « Le Languedoc a un atout notable : ses prix, dans la majorité plus abordables et qui permettent de faire venir une autre clientèle également. Et les vignerons ont également su casser les codes sur les étiquettes, et cela plaît ».
Rosé sec ou moelleux, une même trajectoire de développement…La majorité des consommateurs entrant chez un caviste demande un rosé pâle et pas trop sucré. Tout un symbole, explique Stéphane Profit, caviste à Colombes. « Ils ne jurent que par la couleur et disent ne pas vouloir de rosé sucré, alors que le seul rosé sucré français c’est celui d’Anjou, les autres étant secs, voire très secs ! » Et l’histoire se répète partout en France, notamment chez Dominique Le Clerc, en Bretagne qui a pourtant clientèle « pour des rosés sucrés de Loire ou du Sud-Ouest à base de muscat, en apéritif ou en dessert ». Cette question du sucre, légitime, semble d’ailleurs évoluer au niveau de la production, comme le souligne Patrick Fargeot, à La Vignery : « Cette tendance à réduire les taux de sucre, je la vois émerger chez les producteurs. » Mais comme pour les rosés secs, les rosés moelleux d’Anjou – cabernet d’Anjou et rosé d’Anjou – connaissent une belle croissance ces dernières années. « Les consommateurs cherchent des rosés au niveau de sucre contrôlé, entre 20 et 23 g de sucre résiduel, et des degrés modérés permettant des sensations de fruités, sans trop de sucre exubérant », note Didier Despiau, d’Alliance Loire. « Ces types de rosés signent la région Loire, caractérisé par un fruit frais et soyeux. » Preuve de ce développement, la part de rosé chez Alliance progresse : le poids des rosés est en 2015 de 13,5% en CA sur l’activité vins tranquilles, soit une croissance de 12% par rapport à 2014, et un volume de 1,6 million de cols. « C’est assez atypique dans le paysage car la région est plutôt marquée par ses rouges et ses blancs. Mais le rosé est un produit tendance, fruité et frais, avec une couleur saumonée, un peu plus claire aujourd’hui que ce que nous faisions avant. » En Anjou, le cœur du marché rosé est centré sur ces moelleux, « une vraie spécialité » recherchée par des consommateurs « peut-être de façon un peu plus lissée sur l’année aussi ». Pour le directeur commercial d’Alliance Loire, sur ce type de rosés « on peut vraiment parler d’origine, même s’il est encore difficile d’évaluer la notion de terroir, au domaine ou parcellaire contrairement aux rouges ou aux blancs ». |
Une histoire plus qu’un bonbon
Mais le rosé n’est pas l’apanage que des zones touristiques ou des grandes villes. Chez Stéphane Alberti (63), le rosé s’impose aussi. « Cela reste un produit très saisonnier, avec un cœur de saison entre mai et septembre, très dépendant de la météo. Mais depuis 2 ans, il faut en avoir toute l’année. » Dans ses caves, le référencement rosé a doublé en dix ans. « Etonnant quand on connaît la rigueur des hivers chez nous ou nos traditions culinaires. Et pourtant, même en hiver je dois avoir 6-7 références contre 2 auparavant. »
Côté demande, la couleur est là aussi très présente. « On me demande des rosés très clairs, mais je perçois cela plus comme un phénomène de mode. Un consommateur qui pousse la porte d’un caviste veut d’abord un conseil, un vin de jardinier et une histoire, pas juste du bonbon anglais et clair. La demande pour des rosés gastronomiques, type Tavel ou Bandol, Tavel ou Provence, voire un peu de clairet, a toujours été là. Par contre, je constate qu’à prix et qualité équivalente, chez les femmes, l’étiquette, la couleur de la capsule et le marketing l’emporteront, tandis que chez les hommes, l’appellation primera. »
Chez le caviste, la demande de rosés étrangers est quasi nulle (même constat fait auprès des autres personnes interrogées), et celle des rosés à bulles également, hormis pour les champagnes rosés en fin d’année.
Côté emballage, le Bib continue à se développer, avec des formats de 5 à 10 l « toute l’année, c’est nouveau. Depuis quelques mois, je constate aussi que les magnums, mais aussi les jeroboam sont plus demandés. »
Une porte d’entrée vers un nouvel univers
À La Vignery, ces constats aussi sont posés. « La clientèle cherche des vins faciles à boire, mais veut du choix. Nous avons dans le réseau une cinquantaine de références toute l’année, et jusqu’à 100 en saison, d’avril à septembre. Mais il faut en avoir toute l’année, y compris en décembre : nous vendons d’ailleurs le premier rosé de l’année », explique Patrick Fargeot. Mieux, pour l’acheteur du réseau, cette clientèle est un vivier intéressant car elle est plutôt jeune et féminine, et plutôt novice dans le vin. « Grâce au rosé, elle va accéder à un nouvel univers. Le rosé est une clé d’entrée. »
Alors, le rosé, simple boisson ou vrai produit identitaire ? « C’est sans doute moins vrai pour le rosé que pour les autres couleurs, mais si on a une histoire à raconter sur l’origine du vin, bien entendu qu’on la transmet. Les consommateurs ne viennent pas juste chercher un rosé. De même, le degré d’alcool n’est pas encore une demande clairement posée. Notre idée, c’est d’abord de proposer une palette de goûts et de couleurs, en provenance de toutes les régions puisque on en trouve maintenant partout », poursuit Patrick Fargeot qui alerte : « Par contre, je trouverais dommageable de n’avoir qu’un même type produit partout. On ne veut pas d’homogénéisation du rosé, on veut avoir des gammes typées, des puissants, des moyennement aromatiques… Ce serait une erreur de s’engouffrer uniquement dans un choix dicté par la couleur ». Un message qui, pour Patrick Fargeot, s’adresse d’ailleurs tant aux consommateurs qu’aux producteurs…
Des questions ou des remarques à propos de cette étude ? contactez-nous : scp@cavistesprofessionnels.fr
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