La sortie du Beaujolais Nouveau confirme le rôle actif de la gastronomie et de nos univers de produits pour le moral des français. Comme la razzia particulièrement forte cette année sur la raclette, le succès du Beaujolais Nouveau 2020 en atteste chez les cavistes qui avaient activement préparé ce rendez-vous traditionnel . Les traditions, quand elles savent évoluer et s’adapter au contexte, restent donc des marqueurs culturels forts.
Compenser l’absence de dégustations
De nombreux cavistes signalent que leurs ventes de Beaujolais nouveau ont été bonnes le jeudi 19 novembre et la plupart n’avaient plus de quoi répondre aux demandes dès le vendredi. Il faut dire que côté consommateurs, ce petit évènement culturel, anodin et léger, apportait un prétexte bienvenu pour casser un peu la morosité de ce confinement qui s’éternise …
170 clients en une journée chez Eric Fèvre à Reims … Du jamais vu ! Et bien sûr, plus aucune des 640 bouteilles commandées pour cette occasion dès le vendredi.
Alors que la bouteille de Champagne semble difficile à ouvrir en période de disette et d’inquiétude, le coût modéré d’une bouteille de Beaujolais Nouveau incite peut-être plus facilement à l’achat, sa dégustation permettra une vraie petite pause de plaisir simple voire transgressif dans ce monde à la dérive, moraliste et tristounet … ce que la qualité de la sélection faite par le caviste garantit.
Car finalement, au-delà des innovations apportées à la formule, ce qui semble avoir été le plus fort, c’est le « prétexte » que la sortie du Beaujolais nouveau permet d’orchestrer. A défaut d’être festif, le rendez-vous du 3ème jeudi de novembre a retrouvé cette année toute sa symbolique en matière de convivialité.
Partout en France, des cavistes remontent de belles ventes.
« Une belle surprise », selon Paolo Bouca Nova, du Repaire de Bacchus, qui avoue avoir certes réduit de moitié sa sélection, passant de quatre références à deux, mais vendu autant en volume que l’an passé en seulement trois jours .
Même constat chez la plupart des cavistes interrogés : des ventes importantes pour la période et des stocks épuisés avant le week end. « Et pas de différences particulières selon les régions, précise Christopher Hermelin de chez Nicolas, ça a bien marché partout », le seul bémol concernant, crise de la covid oblige, les magasins situés dans les quartiers déjà sinistrés par l’absence de touristes et très tertiaires qui continuent de souffrir cruellement de l’absence des salariés confinés et en télétravail…
Les cavistes se renouvellent
Un succès à imputer à la puissance de la tradition même si dans les formes beaucoup de rituels ont été révolutionnés. Et justement, l’inquiétude des cavistes était forte du fait de l’impossibilité d’organiser les traditionnels buffets de dégustation ou soirées festives, devenus incovido-compatibles. Plutôt que de mettre mal à l’aise les clients ou de s’exposer à des contrôles, la plupart des cavistes ont donc choisi de ne pas prendre de risques inutiles. Ils ont par contre trouvé des parades qui sans doute, seront pérennisées.
Aux Caves d’Ô, dans l’Essonne, Hervé Gomas avait anticipé cette impossibilité de ne pas organiser sa dégustation traditionnelle dans la boutique ; il avait donc largement communiqué dès la veille auprès de sa clientèle sur le thème : « cette année, je ne vous ferai pas déguster le Beaujolais Nouveau mais je vais vous le raconter ». Une communication pertinente en cette période de ré-amour pour les librairies. Une touche culturelle donc, qu’il a accompagné d’une autre innovation, gourmande celle-là : la confection de mini terrines artisanales et de saucissons en mâchons, le tout commandé sur mesure à son confrère boucher et proposé à la vente à la caisse… « ça cartonne » se réjouit, lui-même étonné Hervé à 10h ce jeudi de sortie du Beaujolais nouveau et soulagé de l’affluence exceptionnelle de sa boutique, ouverte depuis 7h, et de toutes ses ventes complémentaires et bienvenues.
Quand les idées sont bonnes, bonnes, bonnes, bonnes … !
La période implique en effet de s’adapter. Ce qui pour le caviste implique des réponses aux attentes de simplification et de sécurité des clientèles, notamment via les services de livraison personnalisés, tout en conservant la touche Plaisir et la personnalisation du service, c’est-à-dire ce qui caractérise l’univers du caviste et fait toute la différence.
Pari réussi avec la Beaujolais Box. Une belle innovation conçue depuis Les Caves du Parc à Neuilly. Christelle Taret a tout prévu pour relayer à distance la qualité de sa sélection et à faire entrer le caviste chez son client. « Avec la Beaujolais Box, le Beaujolais nouveau s’invite chez vous!! »
Prévue pour deux personnes, la formule s’inscrit dans la tendance très porteuse des Box « tout compris » avec la traditionnelle bouteille de Beaujolais Nouveau Village accompagnée de saucisson, terrine et rillette, avec du pain, des oignons blancs, le tout primé voire bio et sourcé, puisque Christelle, particulièrement bien située, a mis à contribution les gammes gourmandes de ses confrères et voisins artisans commerçants de bouche .
Pour lancer la formule, Christelle a communiqué via sa newsletter : une réduction pour les pré-commandes et un jeu concours pour dynamiser ce rendez-vous pour confinés.
La formule a donc fort logiquement séduit les clients de la boutique de Neuilly et les box ont été très rapidement toutes vendues. Mais l’exemple a fait école, grâce à la diffusion amicale de l’idée entre cavistes (c’est ça la force du réseau SCP !). D’autres cavistes ont adapté le concept à leur propre contexte et innové, là encore, en lançant une campagne de communication collective et spontanée via les réseaux sociaux.
Quand les bonnes idées font tâche d’huile, … Les cavistes 2020 démontrent leur capacité de réaction et d’adaptation et réussissent ainsi à faire face à l’adversité, grâce à leur créativité et leur capacité de renouvellement.
Grâce à leur souplesse et à l’extrême réactivité de toutes ces petites structures, plus agiles pour se réorganiser que les gros modèles, les cavistes ont donc réussi à déjouer les embuches … Des aptitudes du circuit prescripteur que décidément les producteurs et leurs interprofessions devraient davantage entendre et accompagner… et pas seulement en période de crise !
Les cavistes vendent ce qui leur ressemble
Comme chez les cavistes, le Beaujolais n’a pas besoin de goûts exotiques et encore moins artificiels pour être vendu, ce qui est vendu chez eux leur ressemble.
A contrario des concurrences industrielles des marchés de grande distribution qui ont progressivement standardisés et industrialisés les vins qu’ils commercialisent, les cavistes se sont cette année saisis en toute spontanéité de ce réflexe à la fête et l’ont adapté à leurs visions du vin, celles qui répondent aux tendances de fond d’un marché en pleine mutation : des Beaujolais nouveau 2020 de plus en plus souvent conforme aux enjeux environnementaux, quand il n’est pas bio voire Nature.
Ainsi, chez Nicolas, le Beaujolais nouveau 2020 est pour la première fois issue d’une production certifiée Haute Valeur Environnementale (HVE).
En complément de ces exigences qualitatives, les formes de marketing utilisées par les producteurs contribuent aussi à faire entrer progressivement l’image de la boisson franchouillarde dans des référentiels esthétiques plus contemporains.
C’est très clair concernant les étiquettes des bouteilles, plus travaillées et épurées. Ou dynamique. Citons à nouveau l’enseigne Nicolas, qui chaque année depuis 1966 travaille à l’originalité de son étiquette qui inscrive chaque nouveau millésime dans une continuité historique qui illustre les différentes époques et les tendances. L’étiquette 2020 est à la fois très simple, en papier, et ludique, puisqu’elle théâtralise la consommation, grâce à la silhouette d’un verre de vin découpée de façon à voire l’image du verre se vider progressivement à mesure que la bouteille est consommée.
S’appuyer sur les signaux intemporels
Le beaujolais nouveau 2020 s’est donc inscrit donc dans une conjoncture particulière limitant les évènements festifs. Mais 2020 sera l’année qui aura inscrit dans le vocabulaire le terme de « présentiel » comme miroir du terme de « virtuel ».
Les confinements ayant installé l’outil numérique dans les foyers, une forme de communication a permis de faire résonner l’évènement Beaujolais dans ces nouveaux univers de socialisation de masse. La cacophonie des réseaux sociaux est certes propice à la diffusion de messages diverses et variés, du pire au meilleur, mais reconnaissons que de nombreux messages d’appel à la convivialité à l’occasion du BN ont créé une réalité, certes virtuelle, mais tangible, à ce rendez-vous. Grâce aux hashtags qui se multiplient, des univers culturels jusqu’ici soutenus par des références traditionnelles vieillissantes sont projetés dans une intemporalité qui leur ouvre de nouvelles perspectives.
De l’intérêt de rappeler les choses !
Le Beaujolais 2020 fera décidément date en matière d’expérimentation.
Certes, en cette période d’incertitude et de trésoreries exsangues, de nombreux cavistes avaient préféré ne pas prendre le risque de surcharger leurs stocks en matière de primeurs. C’est sans doute ce qui aura été le principal frein et des ventes supérieures auraient sans doute été possibles. Surtout si il y avait eu davantage de partenariats intelligents et surtout solidaires entre producteurs et cavistes.
Certains impulsent cependant une nouvelle dynamique. A La cave de Villiers, David Morin, le caviste de Bronze 2020, a voulu rejouer la Sortie des Beaujolais : « Les ventes sont identiques à l’an dernier malgré l’absence de la soirée, disait-il dès le vendredi matin. Je relance donc une opération Beaujolais Nouveau #2 pour le jeudi suivant car j ai des pré commandes. Donc j ai dû recommander auprès du producteur. »
Essai transformé. La semaine suivante lui a permis de vendre 420 nouvelles bouteilles le 26 novembre, parties aussi vite que les premières 300 bouteilles volatilisées dès le jeudi 19.
La période implique donc de revoir ses habitudes et de réapprendre à vivre jour après jour. Et de se motiver chaque matin pour continuer d’avancer et trouver du sens à cette existence parfois bien maussade …
La sortie du beaujolais nouveau a servi de repère et donc a permis de rythmer cette période d’enfermement social qui n’en finit pas.
Pour les gens qui restent confinés, les stimuli sains et extérieurs sont les bienvenus pour avancer ; des leviers efficaces à activer pour les cavistes, marchands « d’un des ingrédients de la joie de vivre « , comme disait si justement le caviste italien Francesco Bonfio.
