Le 22 mai 2021, nous avons perdu un grand confrère caviste, Robert Marchand. Il s’est éteint dans son sommeil à l’âge de 109 ans.
Robert Marchand était un sportif accompli bien que son premier entraineur lui ait prédit une carrière courte à cause de sa petite taille. Il buvait du vin avec plaisir et « roulait » à l’eau claire. A 105 ans, il battait son propre record de l’heure en vélo, qu’il avait lui-même établi en 2012 pour son centième anniversaire.
Durant cette longue carrière, il pratiqua plusieurs métiers dont celui de « marchand de vins ». A cette époque, c’est-à-dire jusque dans les années 1960, le terme de caviste désignait d’abord celui qui travaillait à la cave en amont, en préparatif de la vente de vin en vrac ou à la tireuse.
Ce parcours de vie atypique me fait penser à un autre personnage du milieu du vin, haut en couleurs, que j’ai connu personnellement – et notamment parce qu’il aurait souhaité que j’épousa sa fille. Je ne suis pas parti en courant mais c’est sans doute à cette époque que j’ai attrapé le virus de la course à pied…
Il s’agit du célèbre caviste corrézien Jean-Baptiste Besse, ami de mon père, officiant de 1936 à 1996 dans son ancestrale boutique de la Montagne Sainte Geneviève à Paris, située derrière l’emplacement de l’ancienne école Polytechnique. En 1993, il avait accepté d’être le parrain de notre toute jeune fédération des cavistes.
Deux figures d’exception
Robert Marchand et Jean–Baptiste Besse, brillaient surtout par leur modestie, leur soif permanente d’apprendre et s’étonnaient, un peu malicieusement dirais-je, de leur mise en lumière par la presse écrite de l’époque.
Tarif affiché dans la vitrine de la boutique de Jean-Baptiste Besse (photo fournie par Lionel Michelin de VINIS ILLUSTRIBUS). Vous remarquerez le prix en franc des vins vendus au degré en provenance d’Algérie.
Jean-Baptiste Besse avait la particularité de ne présenter aucun vin en boutique aucun vin « bouché ». **
Seuls les vins de « consommation courante » en litres, étoilés, consignés ou à la tireuse étaient à la disposition des clients. Et il empilait dans sa cave à trois étages, les meilleurs millésimes depuis 1929 et les conseillait à ses apprentis polytechniciens d’en face.
A cette époque, le vin quotidien se vendait au degré hecto.
En corrézien averti, il possédait « son capharnaüm de cave » dans sa tête. Jamais d’inventaire, ni d’état de stock. Et il ignorait allègrement la DRM – Déclaration Récapitulative Mensuelle – qui oblige les cavistes entrepositaires à tenir « une double comptabilité ».
Après 45 ans de pratique du métier de caviste, je ne peux que témoigner et affirmer urbi et orbi que cette DRM (et autres menues obligations) devrait figurer au livre des records de l’absurdité, une contre-performance nobélisable de l’administration confirmant ainsi la phrase de Michel Crozier ** : « La rigidité administrative est la maladie dégénérative des administrations ».
Traduction au comptoir en zinc :
– T’appellerais ça une sclérose en plaques. (la DRM )
– Ah, oui.
– Ouais, mon gars, mais alors des grandes plaques tu vois, sauf que par rapport à la banquise, ça fond pas, au contraire à chaque simplification, ça s’étend !
– Oh, mais ça fait peur c’que tu m’dis.
– Ben, j’pense bien qu’ça fait peur, même que le Covid y disent que c’est moins grave, surtout q’y z’ont trouvé l’vaccin !
– Tiens, ressers-moi de ton Côteaux bourguignon, et puis, tes conneries, j’m’en fous, dis-moi plutôt c’que t’en penses du retour de Benzéma ?
…Et maintenant, changeons d’auberge, avec les petites annonces de la semaine !
Nous apprenons avec beaucoup de plaisir, grâce à l’article d’Olivier Ubertalli dans le journal Le Point daté du 15 juin 2021, que le vignoble du Château Lafite-Rothschild se reconvertit à la culture biologique sous l’impulsion de la jeune Saskia de Rothschild, la nouvelle héritière que l’on voit en photo, dans ses vignes, inspecter d’un regard d’expert « la hite » (la butte) – nom gascon transformé en « lafite ».
Elle y est d’ailleurs accompagnée de Nola, sa fidèle fox-terrier de 6 ans. On se croirait dans Marie-Claire !
Les cavistes qui, depuis plusieurs décennies, promeuvent dans leur boutiques les vins bio ou biodynamiques ne pourront que s’en réjouir. Pour information, je signale tout de même que les premières vignes cultivées en bio datent des années 1980. Et en Alsace, le domaine Eugène Meyer – pionnier dans cette aventure – pratique la biodynamie depuis… 1969.
Mais bon, le vignoble bordelais progresse, alors encourageons-le !
Notre métier de caviste est d’une part, de travailler avec les domaines ou négoces qui développent les vins sans intervention chimique, sans pour autant condamner les méthodes de culture dites traditionnelles qui ont eu leur raison d’être et correspondaient à une époque… et d’autre part, d’initier le consommateur au vin « non formaté » par une technicité outrancière qui le dénature.
Avec le travail, le temps, la patience, le respect… et la passion, c’est l’enfance de l’art!
* vin bouché : ancien vin AOP, appelé aussi « vin de qualité »
**Michel Crozier ,1922-2013, sociologue et surtout concepteur de l’analyse stratégique et de l’action collective en sociologie des organisations.