Succédant à des millésimes déjà compliqués, la vendange 2017 restera dans les annales comme la plus faible enregistrée en France mais également à l’échelle mondiale. « Il faut remonter en 1961 pour avoir un niveau plus bas » résumait Jean-Marie Aurand, le directeur général de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV), dans Vitisphère d’octobre 2017.
Selon le conseil spécialisé Vins de FranceAgrimer fin décembre 2017, la récolte 2017 française s’élèverait en effet à 35,6 millions d’hectolitres, soit – 22 % par rapport à celle de 2016 (45,56 Mhl). Pourtant, selon les représentants de la filière viticole, ce record historique « ne présage aucunement de conséquences sur le marché ; les professionnels de la filière viticole disposant des outils de gestion nécessaires (stocks, volume complémentaire individuel – VCI, réserve interprofessionnelle). »
Le risque de la variable d’ajustement
Certes, sauf que ces messages qui se veulent rassurant ne peuvent l’être pour les opérateurs spécialisés, majoritairement indépendants et de petites tailles, systématiquement oubliés lors de telles conjonctures. Les cavistes ont eu déjà l’occasion de regretter le peu d’intérêt que ces responsables de filière témoignent au circuit spécialisé hexagonal, au profit de la grande distribution et de l’Export (voir dernière Lettre d’informations sur le rejet officiel par la filière de toute implication des cavistes dans le cadre interprofessionnel chargé de réguler Offre et Demande).
Et les premières remontées semblent en effet déjà confirmer ces craintes.
Une profession sur le qui-vive
Interrogés en fin d’année dans le cadre du Baromètre d’activité des cavistes (source SCP/EQUONOXE), une centaine de cavistes ont exprimé leur perception et fait part de leurs attitudes face à cette conjoncture difficile.
Si 12,9% de cet échantillon avouait ne jamais avoir réfléchi au sujet à la date de l’enquête, la grande majorité de leurs confrères et consœurs démontraient au contraire leur vigilance. Les cavistes suivent en effet la conjoncture et plus d’un répondants sur deux (55,1%) avait en effet déjà abordé le sujet avec leurs fournisseurs.
« C’est terrible, il n’y a pas de vin » s’inquiète ainsi Patrick Jourdain, pourtant fort de sa réputation de grand professionnel et de sa notoriété de représentant de la profession (vice-président du Syndicat des Cavistes Professionnels, organisateur et juré du Concours, il anime également la Commission Formation de la profession).
Chacun anticipe en effet des négociations forcément compliquées par des risques de pénurie, la petite récolte rendant difficile la pérennité des approvisionnements. Et chacun de craindre la flambée des prix.
« Pas de pénuries pour le moment, nous travaillons souvent sur des millésimes décalés donc pas toujours concernés par le prix du millésime ‘en cours’, relativise Jérôme Poiret, le Responsable du Pôle Produit du groupe Nicolas. « Mais les difficultés se concentrent sur les vracs avec des hausses significatives et des volumes raccourcis. » reconnait-il.
« Et les banquiers qui ne veulent rien comprendre » regrette Patrick Jourdain qui, comme de nombreux cavistes, prévoit de stocker dès aujourd’hui en précaution mais souffre du manque de trésorerie qui caractérise la profession.
38,2% des cavistes prévoient en effet de renforcer leurs stocks dès à présent et de se couvrir, une option finalement assez peu mise en avant car souffrant d’un défaut de taille : le manque de capitaux mobilisables.
Ne serait-ce cependant par le moment d’investir dans un modèle financier global ?
C’est la question qu’il va bien falloir se poser. Des organismes mutuels ou nationaux sont présents sur tout le territoire par le biais d’antennes régionales qui apportent des garanties (certes non gratuites) facilitant le cautionnement bancaire des entreprises (BPI) et des commerçants alimentaires (SIAGEI) qui ont besoin de souscrire à des emprunts pour soutenir stocks ou investir (voir dossier Vino Semper à venir : des outils et argumentaires spécifiques pour aider les cavistes à négocier emprunts et cautions bancaires).Contactez nous pour davantage de renseignements
Un défi majeur pour la profession
Près d’un tiers des cavistes répondants (32,4%) avait déjà sensibilisé leur équipe au sujet lors de l’enquête
Pour compléter ces difficultés accrues en matière d’approvisionnement, l’autre enjeu pour la profession sera en effet de justifier les hausses de prix potentielles et de les faire accepter. Certes, les clientèles des cavistes sont sans doute composées d’amateurs éclairés ou plutôt conscients de la valeur intrinsèque du vin et sensibles aux justes prix qui rémunèrent la qualité du travail. Mais quelles seront les limites à ne pas franchir ? Difficile à dire alors que les rumeurs évoquent des surcoûts de 30% dans les approvisionnements … C’est bien le talent des vendeur.se.s en magasin qui fera la différence.
Ce qui émerge de cette interrogation, et qui rassure, c’est que pour trois cavistes sur cinq, il n’est pas question d’accepter de baisse du chiffre d’affaires. Le circuit est déjà en effervescence.
Une actualité immédiatement brûlante
Plus d’un quart des cavistes répondants (27,4%) considéraient en novembre 2017 être déjà impactés par le niveau de la récolte. Et pour la majorité du circuit, les choses vont commencer à se sentir dès le printemps 2018 « La campagne de rosés s’annonce déjà tendue ».
Les premiers échos sont en effet acides : « En fait si on n’est pas dans les petits papiers, » déplorent Hervé Gomas, caviste relativement récent dans la profession mais très dynamique : depuis sa première boutique en 2013 il dirige actuellement quatre établissements en région parisienne, « on subit des comportements complètement exagérés de fournisseurs qui en sont à exiger qu’on leur indique à qui on compte vendre leur marque. Et pourquoi pas leur passer directement notre fichier clients tant qu’on y est ? » Et de citer une grande marque de Champagne….
La solidité des relations va en effet être mise à rude épreuve et nul doute que les conséquences de la petite récolte laissera des traces : 18,9% pensent qu’ils ne vont en souffrir que pendant quelques mois, 32,1% pendant un an et 38,7% des cavistes pendant deux ans, voire plus longtemps selon un caviste sur dix …
Les impacts seront notamment liés aux hausses de prix attendues, ce que prévoient 56% des cavistes alors que 31% d’entre eux anticipent des problèmes liés aux stocks. « Effectivement, nous constatons quelques tentatives [de relèvement des prix de la part de nos fournisseurs], admet J. Poiret, du groupe Nicolas, « mais nous travaillons sur des relations historiques avec nos fournisseurs, ce qui permet d’aplanir les relations. »
Mais qu’en est-il lorsque le caviste est de taille plus réduite ? « Là on se prend des hausses de 30% sur les tarifs, mais qu’en sera t’il après la crise ? Les prix vont ils vraiment rebaisser ? C’est extrêmement pénalisant pour les revendeurs … » déplore Hervé Gomas.
Quelle attitude adopter ?
Chacun au sein du circuit espère vivement que les belles paroles et engagements loyaux seront respectés. Pour faire face à la mauvaise récolte 2017, les trois quart (76,8%) des cavistes, selon les résultats de l’enquête, prévoient en effet avant tout de sécuriser leurs relations avec leurs partenaires vignerons afin que ces derniers les placent en tête de liste (54,2% vont même en faire leur priorité).
Cela va être l’occasion de vérifier que les partenariats sont solides et les vignerons fidèles à leurs distributeurs, un test grandeur nature que l’on espère positif et conforme aux valeurs humaines qui anime l’univers des vins, des vignerons authentiques aux consommateurs, et qui fait rayonner notre circuit de spécialistes passionné.e.s.
Mais pour compléter les défaillances, plus d’un caviste sur 2 (58,6%) va également chercher à référencer de nouveaux vignerons (1 caviste sur 5 va même en faire sa priorité), ce qui pourrait permettre à de nouveaux intervenants d’accéder à ce marché de cavistes si difficile à conquérir …
Une opportunité pour créer de nouveaux référencements chez les cavistes
Rappelons que ces relations commerciales ont toutes les chances de s’inscrire dans la durée dès lors que les pré-requis à un partenariat vertueux sont réunis (cohérence entre prix caveau et prix distributeur, sélection des circuits de distribution respectueuse du caviste, etc.).
« C’est le moment de re-découvrir ou de jouer pleinement la carte des coopératives » propose Xavier Gomart, le directeur des Caves de Tain par ailleurs partenaires Vino Semper. Et en effet, parmi les atouts du modèle coopératif « les coopératives sont présentes sur tous les terroirs et tous les segments : elles peuvent donc répondre parfaitement aux besoins et attentes des cavistes ».
Les coopératives viticoles régionales impliquées dans le partenariat Vino Semper proposent ainsi une sélection spécialement conçue pour le circuit de prescripteurs (voir aussi les différentes Actualités commerciales des partenaires).
Bourgogne, Loire puis Languedoc les plus impactés ?
Les craintes les plus fortes concernent les vins de Bourgogne (29,2% des cavistes répondants les ont prioritairement cités comme la catégorie de vins qui va le plus les impacter), suivis des vins de Loire, du Rhône et du Languedoc.
« »Nous allons être contingentés en vin de Loire malheureusement, ainsi qu’en Jura et Savoie, regrette Patrick Fargeot, acheteur chez la Vignery « ce qui va nous conduire à proposer davantage de vins de La Vallée du Rhone , du Languedoc-Roussillon et plus d’ IGP , y compris en blancs ». Et à partir en quête des meilleurs rapports qualité-prix sur tout le territoire …
Les cavistes de l’hexagone confirment leur attachement à la viticulture française
Mais cette conjoncture préoccupante confirme l’attachement des cavistes à l’univers traditionnel des vins français et ce même si la part des vins recule dans le chiffre d’affaires annuel moyen des cavistes, si l’on en croit les données récoltées dans le cadre des études annuelles Cavistes : peu de cavistes, et aucun parmi les réseaux interrogés, imaginent en effet substituer leur gamme de vins fragilisée par d’autres univers : 15,1% seulement d’entre eux envisagent d’étoffer leur gamme de vins venus d’autres pays, 19,7% sont disposés à élargir leur rayon bières, 20,1% à développer les spiritueux et seuls 12,8% imaginent atténuer leur positionnement de spécialistes de liquides par une offre accrue de produits secs et gastronomiques.
Des professionnels qui restent confiants
26,2% des cavistes pensent trouver d’autres relais : parmi les pistes évoquées, le développement des dégustations payantes ou les initiations à la dégustation… ou le rachat de caves de particuliers.
Car bien que confrontés à une situation en effet risquée, 41,7% des cavistes interrogés se disent néanmoins confiants. Un message positif qui témoigne de la solidité de la profession, riche et forte de la passion qui anime les cavistes !