Fin 2016, les cavistes professionnels décidaient de faire entendre les difficultés de la profession pour répondre strictement aux délais de paiement règlementaires (voir article en Une du site du SCP).
Des réalités de terrain dont il faut tenir compte
Plusieurs cavistes de régions différentes nous avaient en effet signalé en 2016 avoir subi des contrôles de la part d’agents du DGCCRF débouchant sur des avertissements qui les inquiètent.
La multiplication de ces contrôles s’inscrit dans le cadre d’une véritable politique gouvernementale, légitime, destinée à sécuriser l’environnement économique des entreprises, en faisant la chasse aux mauvais payeurs qui pénalisent notamment les petites entreprises.
Chez les cavistes, la plupart du temps, ces contrôleurs identifient des affichages incorrects et autres applications défaillantes des stricts codes de la concurrence, particulièrement complexes pour ce qui concerne les vins et boissons alcoolisées.
Mais ils pointent également régulièrement des délais de paiement aux fournisseurs supérieurs à la règle. Les contrôleurs dénoncent alors ces excès, et ce alors que des accords, parfois écrits, ont été passés entre les cavistes et leurs vignerons.
Pour le moment, et à notre connaissance, les cavistes contrevenants font l’objet d’avertissements: ils sont prévenus qu’ils doivent se mettre en règle en perspective de futurs contrôles ; Mais ils sont prévenus aussi que si la prochaine fois ils ne sont pas en règle, l’amende sera lourde (75 000 euros)…
Le SCP a donc jugé utile de demander l’assouplissement de cette règle, que ses responsables jugent inadaptée aux spécificités des cavistes.
La réalité des cavistes est qu’en effet ils réservent tôt des vins auprès de leurs partenaires vignerons pour s’assurer de leurs allocations, mais ne les vendent que tard dans l’année. Les raisons sont multiples : soit pour terminer leur vieillissement, soit parce que les ventes de vin étant très saisonnières il est nécessaire d’attendre que la demande soit au rendez-vous, soit parce que de toute façon c’est le métier du caviste de proposer une gamme large de références afin que ses clients puissent explorer librement l’univers des vins et spiritueux.
Et comme en parallèle les conditions concurrentielles ne permettent pas aux cavistes de réaliser des marges suffisamment élevées pour pouvoir financer de façon structurelle ses stocks obligés, de nombreux cavistes sont de fait hors la loi, dont des « gros » cavistes indépendants qui font référence… Cette situation déstabilise la profession.
Un accueil cordial et ouvert
C’est M. Jérôme Guilluy, en tant que Président de la commission ‘relations fournisseurs et concurrence’ du SCP, qui pilote cette action officielle du SCP et avec Mme Nathalie Viet, directrice du SCP, ils ont exposé ces réalités aux services centraux de la DGCCRF.
Vis-à-vis de ces responsables des services chargés du contrôle du bon respect de la loi, il n’y a pas lieu de contester la règle mais de trouver un moyen qu’elle puisse prendre en compte les singularités de la profession afin que les cavistes puissent résister à la concurrence des circuits généralistes.
En effet, en tant que commerçants spécialisés, les cavistes sont tributaires de flux de trésorerie très saisonnalisés qu’ils ne peuvent pas diluer avec les chiffres d’affaires réalisés sur les autres univers de consommation, contrairement aux commerces généralistes et notamment à la grande et moyenne distribution.
En outre, les cavistes dépendent uniquement de la valeur ajoutée qu’ils peuvent gagner sur la vente de produits alors que leurs concurrents ont tendance à utiliser nos univers de produits comme produits d’appels pour recruter des clientèles qui seront valorisés par leurs achats dans les rayons alimentaires ou non alimentaires de l’enseigne. Cette situation est clairement préoccupante pour les cavistes : c’est le problème que rencontrent les commerces spécialisés en général et qui mérite que leur positionnement soit considéré différemment des autres dans toutes les lois sur la concurrence LME.
Ces arguments ont été bien entendu par les représentants des sous-directions mobilisées pour écouter nos préoccupations (sous-direction des ‘Affaires juridiques, politiques de la concurrence et de la consommation’ et sous-direction des ‘Produits alimentaires et marchés agricoles et alimentaires’). Ces hauts fonctionnaires nous ont cependant expliqué la nécessité de travailler la dimension « politique » du sujet car il n’y aura d’autre choix que de faire évoluer la loi, ou d’obtenir une dérogation, comme l’ont fait avant nous cinq secteurs également du commerce spécialisés : l’agroéquipement, le commerce des articles de sport, la filière du cuir, l’horlogerie-bijouterie-orfèvrerie-joaillerie et le jouet.
Pas d’autres choix que de s’attaquer aux textes de loi
L’article L443-1 du Code du commerce modifié par LOI n°2016-1691 du 9 décembre 2016 – art. 123 (V) prévoit en effet que les délais de paiement sont plafonnés à 45 jours fin de mois ou à 60 jour suivant la date d’émission de la facture pour les achats vins et alcools passibles des droits de circulation prévus à l’article 438 du Code général des impôts. Ils sont plafonnés à 30 jours après la fin du mois de livraison pour les spiritueux et boissons alcooliques passibles des droits de consommation prévus à l’article 403 du Code général des impôts.
Trois articles de loi donc dont deux qui dépendent du Code général des impôts et un du Code du Commerce. Les univers de produits qui font la spécialisation des cavistes font donc références à des cadres réglementaires différents ce qui va impliquer de les aborder différemment.
Les suites à donner à ce sujet nécessiteront donc beaucoup de lobbying et d’ingénierie juridico-administrative, que ce soit vis-à-vis des institutions viticoles et des services du ministère, voire des parlementaires.
Les cavistes vont avoir besoin du soutien des vignerons et négociants
Quelle que soit la stratégie juridique qu’il va nous falloir mener, il nous faudra de toute façon travailler en partenariat avec les représentations des producteurs.
En effet, pour accepter que les délais de paiement des cavistes soit relevés (75 ? 80 ? 90 jours ? Plus…?), l’Etat devra être assuré que les vignerons et fournisseurs concernés ne seront pas lésés. Un préalable évident, car les cavistes ne souhaitent bien sûr pas fragiliser leurs partenaires vignerons mais au contraire sécuriser leur capacité à commercialiser et valoriser leurs productions.
C’est le message que le SCP va adresser aux institutions représentatives de l’amont de la filière.
Nous comptons pour cela sur la bonne perception de la part de leurs représentants du rôle particulier des cavistes et de leurs fragilités structurelles.
Avec 522 références de vins et spiritueux en moyenne par magasin dont 412 de vins et Champagne, les 5755 cavistes de France portent la richesse de la production viticole et lui permettent de maintenir et de valoriser sa diversité.
Cavistes, producteurs et terroirs, un écosystème français à protéger
Que deviendraient toutes les petites productions et appellations viticoles sans les cavistes ? Si certains dénoncent l’atomicité de la filière française face aux enjeux commerciaux internationaux, nous considérons au contraire que cette diversité est sa principale force : évitant les productions standardisées, elle fait rayonner l’identité culturelle de cet héritage, l’image France gardant grâce à ça sa part de mystère qui attire.
Et comment pourraient être maintenues les qualités des grandes productions si les cavistes n’étaient plus là pour expliquer leur positionnement-prix à leur clientèle, et donc justifier des processus de production et de distribution minutieux et à forte valeur ajoutée ?
Le fait même qu’il y ait de nombreux cavistes et leur dynamisme est révélateur de la richesse du tissu d’entreprises viticoles et la nourrit en retour.
Les modèles d’entreprises des cavistes ne permettent pas, et c’est un problème structurel et que l’on peut aisément démontrer, de produire la valeur ajoutée suffisante pour financer des rotations de stocks qui restent lents : le vin a besoin de temps pour naître, de temps pour grandir, de temps pour murir et de temps pour être bu.
De nombreux vignerons et cavistes ont déjà créé des relations de partenariat facilitant souplesse et compréhension, dans les deux sens d’ailleurs. Il nous faut juste aujourd’hui faire entériner ces usages auprès des Pouvoirs publics afin d’éviter que le couperet de la loi ne sanctionne des accords inter-entreprises librement acceptés.
« C’est un beau combat à mener pour les cavistes » conclue Yves Legrand, un combat qui devrait en outre confirmer la relation forte existante entre amont et aval de la filière.
Sensibiliser les banques
En attendant l’issue, que l’on espère positive, des actions menées par le SCP auprès des Pouvoirs publics, une seconde voie sera de se rapprocher des banques commerciales des cavistes. Premières interlocutrices des chefs d’entreprises, elles sont cependant parfois frileuses pour débloquer des lignes de crédits dans les mois difficiles.
À nous de les renseigner sur ce qui fait la singularité des entreprises de cavistes, pour qu’elles soient plus rassurés et sensibles aux arguments des cavistes qui sollicitent leur soutien. <em>Des présentations adaptées seront aussi produites en 2017 et mises à disposition des adhérents du SCP pour diffusion à leurs partenaires bancaires.
À cet effet, les cavistes qui le voudront bien seront interrogés lors de l’enquête annuelle 2017 Equonoxe sur leurs flux de trésorerie annuels. Merci d’avance de votre aimable accueil.