Le 20 mai dernier, le CA du SCP a nommé un nouveau Conseil d’administration et Patrick Jourdain est devenu président du SCP. Il succède à Yves Legrand. Bien que le passage de relais se soit fait dans les règles de l’art, c’est une nouvelle étape pour le SCP, avec une nouvelle équipe, un nouveau style. Rencontre avec celui qui va porter la dynamique syndicale des cavistes pendant ces prochaines années.
Qui êtes-vous ?
« J’ai 58 ans et je vis dans la région de Vichy, dans une région dont j’apprécie la qualité de vie ce qui est important pour moi. Je suis marié et j’ai deux grands enfants de 23 et 14 ans.
Je suis propriétaire de deux caves, une à Cusset, dans la banlieue de Vichy, et une autre à Thiers, dans le Puy de Dôme. J’y commercialise environ mille références avec deux collaborateurs, Jean Pierre qui est avec moi depuis 1998, et Benjamin qui vient de rejoindre l’entreprise. Ils me secondent parfaitement ce qui me permet de leur laisser des initiatives et une grande autonomie.
D’où vient votre vocation de caviste ?
J’ai repris en 1980 l’entreprise familiale, suite au décès de mon père alors que j’étais en 2ème année de BTS. J’ai donc arrêté mes études pour devenir marchand de vins, dans l’entreprise que mon père, originaire de Normandie, avait lui-même reprise en 1964.
Et votre engagement ?
J’ai toujours été très impliqué dans le monde associatif : j’ai joué au rugby à Vichy et à Cusset puis suis devenu entraîneur des juniors et trésorier du club. J’ai été aussi secrétaire adjoint de l’association des commerçants de Cusset, très impliqué aussi au bureau de la jeune chambre économique de Vichy, et aussi délégué consulaire à la CCI.
Actuellement, je suis membre du conseil d’administration de mon centre de gestion comptable, de la CPME de l’Allier, je suis aussi conseiller municipal à Creuzier le vieux et je m’investis dans l’association locale Made In Cusset entreprises, qui est assez importante : nous y travaillons pour créer des passerelles importantes entre les établissements scolaires et les entreprises (accueil de stagiaires, sponsoring, présentation des métiers et des entreprises, récompenses des élèves méritants, …). Mon épouse est également très active, de par son métier : elle est infirmière libérale et très investie auprès de sa patientèle pour lesquels elle ne ménage pas ses efforts.
Quand le syndicat des marchands de vins de l’Allier, auquel j’adhérais, a été dissous, plutôt que de rejoindre la FNB (NDLR : Fédération Nationale des Boissons, le syndicat représentatif des entrepositaires-grossistes) dont je ne me sentais pas très proche, j’ai préféré rejoindre la FNCI (Ex-Fédération des Cavistes Indépendants) dès qu’elle a été créée. J’en ai été le délégué régional puis le vice-président en 2000 et j’ai notamment contribué à la création du statut des Entrepositaires agréé « allégé » en négociant avec les Douanes en 2000. Nous avons ensuite assuré la co-présidence de la FNCI avec Gérard Antoine de 2006 à 2012.
Et j’ai soutenu dès sa genèse ce qui est devenu le SCP dont je suis un des membres fondateurs.
Vous étiez déjà vice-président du SCP et très actif jusqu’ici. Qu’est ce qui va changer ?
Pour moi ? il va me falloir mettre de l’eau dans mon vin. Non je plaisante, je vais surtout devenir plus consensuel et sortir de ma posture de « pur caviste indépendant ». Et me mettre davantage à l’écoute.
Je vais aussi m’habituer à venir plus souvent à Paris (6h aller-retour de train quand tout va bien) pour y porter une parole collective, en tant que représentant de toute une profession.
Je travaillerai toujours les dossiers avec sérieux et rigueur et compte bien prendre en main sur le sujet de la Formation des cavistes dans son ensemble. Il ne faut rien nous interdire, utiliser les outils qui existent et apprendre les arcanes des organisations de branche et autres par lesquelles s’organisent ces sujets.
Et puis je vais présider un SCP né en 2011 et qui est aujourd’hui devenu un adolescent fougueux ; il faut le conduire vers l’âge adulte en le professionnalisant lui aussi. Ce serait bien un jour de pouvoir augmenter notre capacité de communication, en nous équipant de ressources humaines supplémentaires !
Quel est votre projet pour les cavistes ?
Je voudrais que le métier soit mieux reconnu par les institutions, les médias, qu’il réussisse sa professionnalisation. Le caviste doit à mon avis incarner l’avant-garde tout en s’appuyant sur ses fondamentaux qui sont notre histoire et nos cultures, que ce soit nos cultures vigneronnes ou les arts de vivre qui font la richesse de la France.
Cela passe par une vraie formation et une montée générale en compétence. Et cela se fera en travaillant simultanément dans deux directions.
Il nous faut continuer de valoriser nos meilleurs cavistes. Nous le faisons grâce au concours du meilleur Caviste (auquel je consacre beaucoup d’énergie), ainsi que par le travail de communication que nous faisons dans nos entreprises pour faire reconnaître nos atouts et notre expertise et pour construire nos images de marques. En cela, les réseaux sont mieux équipés mais côté indépendants, nous pourrions nous équiper d’un label du genre maitre-caviste ou autre, qui permette de créer une strate d’excellence au sein du métier. C’est un sujet que j’ai porté au sein de la FCI et qui est en cours de réflexion. J’aimerai beaucoup aussi nous équiper d’une reconnaissance comparable à celle du MOF (Meilleur ouvrier de France).
Mais pour compléter ces dispositifs de valorisation, c’est clair qu’il va falloir consolider le niveau de base du caviste car si actuellement aucun diplôme n’est exigé pour pouvoir prétendre à exercer en tant que caviste, ce n’est pas forcément si positif que ça. Et le principal chantier que j’ouvre, et auquel je vais me consacrer pleinement, c’est de construire une offre de formations suffisamment larges et adaptées à nos besoins : formation de base pour les vendeurs ou pour tenir une boutique, sous forme de sessions complètes ou par modules, sur l’expertise produits (TOUS produits) comme sur la règlementation (indispensable) ou sur les techniques de vente et dynamisation commerciale, que ce soit sous forme d’enseignements théoriques ou par alternance.
Quelles sont les forces des cavistes actuellement ?
Leur nombre et leur diffusion sur tout le territoire. C’est assurément notre principale force.
Notre image aussi, celle de professionnels compétents et sympathiques. En tous cas pour la plupart même si j’ai bien compris (rires) qu’il nous faut aussi éviter de « gaver » les clientèles moins passionnées que nous et qui peuvent parfois se sentir larguées ou tout simplement s’agacer par nos déballages de connaissances. Il va falloir bien gérer ces subtilités dans les relationnels avec nos clients et transmettre ça à nos collaborateurs, un vrai challenge.
Notre force c’est aussi notre réactivité pour porter les nouvelles tendances ou pour soutenir le lancement d’un nouveau produit.
Les cavistes sont aussi des commerces de proximité à taille humaine, capables d’apporter une écoute et une disponibilité qui deviennent précieuses à notre époque. C’est par cette proximité qu’ils sont les ambassadeurs de milliers de vignerons et de brasseurs artisanaux.
Ils proposent aussi des spiritueux d’exception qui ne peuvent pas être trouvé ailleurs, un segment de marché qui nous valorise particulièrement.
Nous devenons aussi progressivement des formateurs, en aidant nos clients amateurs à découvrir et faire grandir leur propres sens, leur sens du goût bien sûr, leur odorat, leur mémoire sensorielle aussi, donc forcément leur savoir-être, et puis leur culture.
Et leurs fragilités ?
Par certains côtés, les cavistes sont leurs premiers ennemis, par trop d’amateurisme parfois, par des postures ringardes contre le confrère qui leur font oublier d’où vient le vrai danger, ou par son incapacité à maitriser sa passion qui lui fait perdre la tête et fragiliser sa trésorerie en investissant dans des stocks de vins non raisonnables.
Mais au-delà de ces travers très humains, les menaces des cavistes sont nombreuses. Ce sont bien sûr les lois « anti-alcools » qui ne font aucune distinction entre les dealers d’alcools qui vendent jour ou nuit sans contrôles ni états d’âme ou incitent à la consommation par des prix indécents, et les passeurs de culture que nous sommes.
C’est aussi la concurrence sauvage qui se développe par internet. Une concurrence destructrice d’équilibres pourtant précieux, qui vient aussi bien des sites commerçants opportunistes et destructeurs de valeur que des fournisseurs eux-mêmes qui s’imaginent capables de défendre leur image et leur valeur ajoutée en alimentant en direct les consommateurs … quitte à nous court circuiter ou nous faire des enfants dans le dos. Ce qui me désole c’est de constater que des grandes marques prestigieuses jouent à ce jeu-là. A terme, nous y perdrons tous… et elles les premières !
Quels sont leurs atouts/opportunités dans la conjoncture actuelle ?
Finalement j’en vois plusieurs même si j’ai eu un peu de mal à répondre à cette question…
Et pourquoi pas le contexte anti-alcool? En effet, si ces gens qui diabolisent voire criminalisent la consommation d’alcool veulent aller jusqu’au bout de leur raisonnement, si l’alcool est dangereux pour la santé, alors il ne peut être vendu que par des professionnels, non ? Des »docteurs es Caviste » ! A la mode puritaine des anglo-saxons, le caviste deviendrait une « banque d’alcool » qui disposerait de l’exclusivité du droit de vendre !?… mais ce n’est pas le modèle de société qui me fait rêver.
Le Manger moins mais mieux ? De nombreux consommateurs reviennent aux bons produits, et évitent les aliments industriels transformés. Le vin, en tous cas les vins vendus par les cavistes (et les bières artisanales) répondent à ces aspirations. De la même façon qu’ils redécouvrent les artisans-fromagers, les artisans-bouchers, qu’ils sont prêts à aller plus loin pour trouver du bon pain, il faut qu’ils aient aussi le réflexe du caviste pour ce qui concerne leurs boissons.
Je pense aussi à la révolution numérique en cours, parce qu’elle place l’information au cœur de la machine, peut être une carte à jouer pour les cavistes. De plus en plus, le caviste n’est pas seulement un commerçant, il est aussi un formateur, un consultant, un expert, un communicant, un animateur de dégustation, un organisateur d’évènements (dégustations en entreprise ou ailleurs), …
Il nous faire prendre ce train là. Ce qui implique là encore de muscler les formations des cavistes. Et booster leur dynamique commerciale. Il faut qu’ils rayonnent en dehors de la boutique afin d’inciter les consommateurs ensuite à y venir. Et la broche du caviste professionnel est un outil pour faire reconnaître le statut du caviste. Et pour que tout soit cohérent, il faut évidemment que nos collaborateurs dans la boutique soient à la hauteur de cette image que l’on construira de plus en plus lors d’évènements extérieurs à la boutique.
Et il nous faut aussi répondre à cette sensibilité actuelle de la société qui redécouvre les circuits courts, le commerce de proximité, est en attente de consommation intelligente et sans déchet : pourquoi pas le caviste de quartier récupérateur des bouchons ? Et un renouveau de la consigne ? …
De quoi voudriez-vous être fier à la fin de votre mandat ?
Je voudrais … que nos parts de marché aient augmenté : 10-15 voire 20% des volumes de boissons alcoolisées vendues en France ?
Je rêve que, comme dans d’autres pays, nous puissions discuter, en France de vins, ou de bières ou d’autres boissons alcoolisées, à la télé ou pourquoi pas sur les réseaux sociaux et donner envie de déguster, raisonnablement bien sûr, et que le caviste devienne LE (ou la) référent professionnel incontournable en la matière. Celui qui inspire le respect et rassure les journalistes et les chaines de télé car on sait que son approche est celle d’un professionnel qui assume pleinement la responsabilité intelligente d’un sujet associant plaisir, découverte, exploration de ses sens … et donc de soi. Aller chez le caviste, quelque part, c’est comme faire du tourisme, sauf que c’est partir dans un voyage intérieur. C’est important comme sujet.
Notre rôle est important. Nos confrères italiens ont réussi à faire reconnaître la dimension intellectuelle du métier (voir article Mots croisés entre cavistes français et italiens), c’est, je pense, une piste à suivre…
Mais bon, peut être que tout ça ne sera pas complètement fini à la fin de mon mandat ? (rires) » J’espère que en tous cas que cela motivera les cavistes pour aller dans ce sens.