Les hommes et femmes qui ont choisi la profession de caviste l’ont fait par passion … pour le goût, pour la convivialité et pour les valeurs qui sont transmises par nos univers de produits.
Faisant ainsi une croix sur toute perspective de faire fortune, mobilisés sur tous les fronts réunissant des compétences très larges, véritables hommes (et femmes) orchestres, souples pour s’adapter aux modes de vie de plus en plus compliqués de leurs clients, à leurs humeurs, flegmatiques pour rattraper les erreurs logistiques et supporter la complexité administrative et de gestion inhérente à toute entreprise, aux aguets pour surveiller la concurrence, le tout en restant à l’écoute et compréhensifs par rapport à leurs partenaires vignerons parfois indélicats, toujours militants pour aider à faire évoluer les usages, les cavistes incarnent le savoir-être et le savoir-vivre qui font la cohésion des quartiers dans lesquels ils sont installés.
Mais quelle déception de se voir aussi mal considérés par des pouvoirs publics qui glissent bien sagement dans les rails que leur déroulent les ligues de vertus concernant la vente d’alcool.
Quelles mauvaises visions, et simplistes, des réalités comportementales de la société française !!!
Des interdictions qui se multiplient en France et ailleurs
En Afrique du Sud, l’interdiction de la vente d’alcool (maintenue jusqu’au 15 janvier) vise à réduire le nombre d’admissions à l’hôpital liées à des accidents de la route ou à des violences, notamment familiales, générées par un excès de consommation. « Les comportements imprudents dus à l’ivresse ont contribué à l’augmentation des transmissions. Les accidents et violences liés à l’alcool mettent sous pression nos services d’urgence », a expliqué le président Cyril Ramaphosa. D’après l’Agence France Presse, ce régime de prohibition avait déjà été mis en œuvre en mars puis soumis à une batterie de restrictions. Selon le Guardian, le nombre des traumas présentés aux urgences avait baissé de 60% suite à la mise en place de la prohibition. Une situation a replacer dans le contexte propre à ce pays et à ses violences sociales.
La situation italienne est kafkaïenne : le gouvernement italien a promulgué un décret interdisant expressément à compter du 16 janvier 2021 la vente à emporter de toute boisson alcoolisée ou sans alcool de 18 heures…. interdiction qui se limite à tous les magasins spécialisés (immatriculés sous les codes ATECO 47.25) … laissant par contre le champ libre aux autres formes de commerce.
Une catastrophe pour les cavistes italiens (enotecarios), représentés par l’association Vinarius. Leur président, Andrea Terraneo, a adressé une lettre ouverte au Président du Conseil des Ministres Giuseppe Conte, au Ministre du développement économique Stefano Patuanelli et au Ministre de la Santé Roberto Speranza pour demander la justification de cette discrimination.
Il y rappelle l’inquiétude de la profession qui perdrait ainsi 30 % de son chiffre d’affaires quotidien du fait de leur fermeture prématurée … sans compter les risques de transferts d’achat vers les autres commerces … dans une conjoncture déjà sévèrement compliquée par les confinements.
La question a donc été posée lors des questions au gouvernement du Parlement italien le 20 janvier. Et la réponse a été … lamentable : le Ministre Patuanellia a expliqué avoir été inspiré par un rassemblement de personnes devant une boutique caviste à Trieste en dehors des heures d’ouverture, l’objectif du gouvernement étant d’interdire tout rassemblement … Sans nuance donc.
La situation est délirante aussi sur le marché français.
La crise sanitaire a là encore accéléré une tendance que nous surveillions pourtant de près ces dernières années car elle ne peut qu’inquiéter les cavistes et tous les professionnels concernés. Des décrets se multiplient consistant à interdire ou restreindre non seulement la consommation d’alcool sur la voie publique, puis la consommation sur place (ces établissements étant fermés administrativement ils ne sont donc pas pour le moment attaqués sur ce point) puis la vente même d’alcool pour la consommation à domicile.
Pourquoi jeter le bébé avec l’eau du bain ?
La nuit d’abord : ainsi, la vente de boissons alcoolisées a été interdite, par arrêté préfectoral du 15 décembre, à partir de 20h dans le Rhône et de 20 h à 8 h sur tout le département du Pas de Calais, jusqu’au lundi 11 janvier 2021 à minuit.
Mais quand on commence à toucher au monde de la nuit, la facilité est grande de glisser vers une forme de moralisation des comportements supposés « normaux » par rapport aux autres, qui deviennent du coup supposés « déviants »… Et les raccourcis s’enchainent.
Preuve en est, les interdictions de vendre de l’alcool interviennent de plus en plus tôt : le soir de plus en plus, les jours maintenant, notamment ceux qui pourraient justifier quelques rassemblements de personnes au sein des familles notamment.
Ainsi, ce 31 décembre 2020, en France, les ventes d’alcools étaient interdites à partir de 18h dans les Côtes d’Armor, de 17h dans le Rhône ainsi que dans le Cher … dont le préfet a étendu la mesure jusqu’au samedi matin ; les ventes étaient interdites après 16h en Ille et Vilaine et dans le Rhône (qui ravançait ainsi son précédent arrêté débutant à 20h), interdites aussi toute la journée à partir du 30 au soir (20h) … et jusqu’au 1er janvier 12h dans les Pyrénées Orientales ; à partir de 6h du matin dans le Puy-de-Dôme, le pire étant dans ce dernier cas que le décret a été pris la veille au soir à 22h ne laissant ainsi aucune capacité d’organisation ou d’annonce pour les entreprises.
La cacophonie des formes utilisées, que ce soit au niveau des dates ou mêmes des formes rédactionnelles et de leur publication dans les jours qui ont précédé le 31, à la dernière minute parfois, atteste d’une forme de diffusion anarchique d’une philosophie générale concernant le rôle de l’alcool auprès des pouvoirs publics.
Progressivement ces gens représentant l’Etat enferment notre activité dans une forme de diabolisation qui justifie qu’elle soit reléguée au ban de la société … Un jugement dogmatique et moral, complètement déplacé, et qui heurte les cavistes.
Les hauts-fonctionnaires et les personnels du Ministère de l’Intérieur sont en effet en train d’établir une forme de doctrine anti-alcool qu’ils installent progressivement au sein des préfectures qu’ils dirigent, semant ainsi à chaque mutation des précédents facilitant leur renouvellement. Et la Saint Sylvestre 2020 a été l’occasion de dégoupiller à coup de décrets qui ont mobilisé le SCP jusqu’à la dernière heure pour essayer d’enrayer la tendance et négocier des exceptions ou adaptations aux spécificités des cavistes.
Les autorités considèrent que la consommation de boissons alcooliques incite à ne pas respecter les consignes de couvre-feu ou confinement ; son interdiction permettrait alors d’améliorer le contrôle des populations mises à cran du fait de l’enfermement et des conséquences sociales et économiques liées à cette période de crise économique et sociale.
Là encore on ne peut que penser à la métaphore de l’imbécile qui voit le doigt quand le sage lui montre la lune !
Les cavistes sont des éducateurs du savoir vivre
Les interdictions de vendre qui se sont multipliés par arrêtés préfectoraux en fin d’année 2020 pénalisent donc commercialement ces cavistes (la journée du 31 décembre fait partie des 5 plus grosses journées de l’année d’un caviste selon P Jourdain, caviste depuis 40 ans en Auvergne). Mais au-delà, c’est la dimension symbolique de ces attaques qui blessent la profession.
En effet, la vente d’alcool aux particuliers est le cœur de l’activité des cavistes ! La profession vit donc mal la diabolisation qui est faite de son univers, associé pour elle à une philosophie de vie épicurienne et saine, qui participe au contraire au bien-vivre, au maintien d’une bonne santé et à l’équilibre général de l’individu.
Comment accepter alors de se retrouver de plus en plus régulièrement montrée du doigt comme responsables de drames sociaux et psychologiques supposés justifier leur interdiction ?
« On se savait diabolisés par le Ministère de la Santé, mais maintenant c’est aussi par celui de l’Intérieur ; c’est tout le rapport entre notre métier et nos produits et les français qui se jouent » expliquait Patrick Jourdain, le Président du Syndicat des Cavistes Professionnels, aux responsables viticoles réunis au sein du Conseil spécialisé Franceagrimer le 20 janvier dernier (voir texte de son intervention).
Ses arguments et leur profondeur (caviste dans le Puy de Dôme, il a lui-même été contraint à la fermeture par 6 gendarmes venus faire du zèle … alors que les grandes surfaces situées à proximité continuaient de vendre sans problème les bouteilles destinées à fêter ce passage d’année si particulière …
Un message utile à rappeler, avant qu’il ne soit trop tard, parce que les responsables viticoles français se retrouvent malheureusement parfois trop concentrés sur des problématiques de pures productions ou happés par la guerre ouverte contre les mesures de surtaxations américaines ou du grand Export … alors que c’est l’image renvoyé par notre marché et l’art de vivre « à la française » qui nourrissent principalement le rayonnement de nos produits à l’international.
Nous attendons tous d’être entendu par le Ministre de l’Intérieur.
Très mauvais diagnostic sociétal
Rappelons que les excès dans les usages sont dus à des constructions culturelles défaillantes, qui déresponsabilisent, et à des mal- être sociaux et au niveau des identités individuelles dont l’alcool ne fait que révéler les symptômes.
Et le principe de la punition collective est contre-productif !
Rappelons aussi qu’ils sont nombreux dans les nouveaux jeunes adultes, élevés par des générations de parents eux-mêmes soucieux de transmettre et expliquer plutôt que d’interdire, qui n’ont pas besoin de jouer la carte de la transgression par l’excès d’alcool et autres phénomènes de « défonce ». Les jeunes majeurs actuels sont nombreux à ne pas consommer d’alcool.
Et les boutiques des cavistes s’enrichissent de nombreux jus de fruits goûteux, bios, sains, tout à fait en harmonie avec le reste de leur gamme car renvoyant aux mêmes valeurs et modes de consommation, responsables, de plaisirs, épicuriennes.
C’est la maturité qui ouvre à la curiosité du Soi et qui conduit le consommateur à explorer le champ du goût sans devoir forcément s’enfermer dans un discours pour/anti alcool qui ne conduit finalement qu’à radicaliser toutes les parties…
Car en jouant à nouveau au jeu du chiffon rouge … de qui souhaite t’on détourner l’attention ? La période est trop grave pour créer des pares-feux qui détourneraient les citoyens de se poser des questions de fond sur le modèle de société qu’ils souhaitent défendre. Ce serait même plutôt mettre de l’huile sur le feu !
Alors, à quoi ça sert ? A éviter de troubler l’ordre public ? Sérieux ?