Nouvel épisode de notre réflexion sur les bouleversements en cours liés au développement des solutions numériques. L’objectif de ces réflexions est de préparer les cavistes à cette révolution technologique en vous sensibilisant aux changements qu’il faut dès à présent anticiper.
C’est la conclusion de ces travaux que nous présenterons lors des nouvelles Assises du Syndicat des Cavistes Professionnels qui se tiendront cet automne, suite à la réunion annuelle économique du club Vino Semper.
La pression concurrentielle exacerbée par les nouveaux opérateurs internet déstabilise les chaines de distribution traditionnelles
« On ne peut nier que le digital impacte notre secteur d’activité : les attentes consommateurs ainsi que leurs comportements d’achat évoluent et les nouveaux entrants (pureplayers, marketplace) bouleversent l’environnement concurrentiel en le rendant parfois déloyal (en tirant les prix par le bas, ils impactent négativement le métier de caviste) » résume de façon pragmatique Lucie Chartreux, de la maison Dugas.
Les nouvelles technologies affectent en effet toutes les relations traditionnelles.
Nous nous concentrons dans cet article sur la réorganisation en cours des chaines de distribution du fait des ventes réalisées sur internet. Les conséquences de ces nouvelles formes de commerce sur les consommateurs et acheteurs de vins et alcools d’origine et traditions seront traitées dans un autre article à venir.
En matière de vins, le développement rapide des sites de vignerons pensant qu’il suffirait de se positionner en tant qu’acteur du web pour susciter des ventes complémentaires a révélé rapidement la limite du modèle.
La gestion du site et son rafraichissement régulier ne rentabilisent finalement jamais vraiment ces quelques ventes supplémentaires.
Il rend par contre les prix plus visibles ce qui accentue la nécessité de tarifications cohérentes entre la vente directe à la propriété, via ou pas le site, et le caviste, sous peine de se fermer le marché des cavistes.
La mise en place des plateformes thématiques type vigneron-independant.com a donné de l’ampleur au phénomène.
Au delà du projet logistique (plateforme facilitant le panachage donc les commandes), ce site doit permettre de recruter des clientèles grâce à la mise en commun sous une marque « rassurante » de nombreuses références. Mais les résultats encore timides de ce site confirme le fait qu’il ne suffit pas de disposer de vins pour savoir le vendre …
La difficulté est d’attirer les visiteurs pour les transformer en clients, ce qui coûte cher, très cher… avec des effets ricochets difficiles à réussir.
Les sites de vignerons pensant ainsi directement toucher leurs clientèles ont leur pendant côté Négoce. Les acquisitions de sites de ventes en ligne par des gros négociants traditionnels, bordelais notamment, se multiplient (chateaunet.com, millesima.com, ventealapropriete.com, etc). Ces sociétés espèrent trouver des relais de croissance et regagner en direct par ce canal des marges commerciales permettant de compenser des conditions concurrentielles devenues en effet ardues dans les canaux de distribution classiques . Miroir aux alouettes ou vrais visionnaires ? L’avenir le dira.
« Le recrutement est une chose, mais la fidélisation en est une autre, rappelle cependant Jean-Remy Lacaille, directeur opérationnel du réseau de cavistes Les Vins Guy Jeunemaitre, propriété de la Compagnie Médocaine des Grands Crus, et acteur de premier plan du commerce numérique des vins via notamment le site Netvin.com développé également par la société de Négoce. Les clients ne sont pas fidèles. Nous avons, dans nos caves des clients qui viennent chaque semaine. Sur internet, il n’y a pas beaucoup de sites de vente de vins qui ont des clients qui commandent chaque semaine. »
Internet a permis la création de nouvelles formes de commerces : des sites spécialisés pure players aux « cavistes en ligne », la période est dorénavant à l’entrée en scène de plus gros acteurs présents sur tous les univers commerciaux, comme Amazon, dont l’apogée est annoncé pour 2022, et annonce l’arrivée de nouveaux géants venus de Chine, comme Alibaba.
Comme la grande distribution française traditionnelle, leur force de frappe leur permet non seulement de négocier des conditions d’achat particulièrement avantageuses mais aussi de drainer de nombreux visiteurs grâce à la visibilité qu’elles peuvent acquérir sur les axes passant du net (publicités dans les réseaux sociaux, orientation des navigateurs, …)… et sur d’énormes fichiers clients qui existent déjà !
« Les personnes qui sont dans ces fichiers y sont rentrées en achetant une paire de Nike soldée ou un produit technologique, mais sont aussi des consommateurs de vins » rappelle en effet JR Lacaille.
Car n’oublions pas en effet l’arrivée du site Grands Vins Privés pour Carrefour et Macave Leclerc pour Leclerc qui vient récemment de racheter WineAdvisor. « Question cassage de prix, la GD n’est pas mal non plus, il ne faut pas l’oublier, souligne t’il.
La course au gigantisme nourrit en parallèle le développement de places de marchés permettant à une multitude de petits opérateurs de proposer des gammes diverses pour des visibilités très disputées auprès de visiteurs potentiellement transformables en clients.
La « galerie marchande virtuelle » qui héberge ces camelots 2.0 peut en attendre un élargissement de son offre, de recrutements et/ou de CA. Elle peut prendre une marge sur les achats réalisés, voire loue des « locaux virtuels ».
Citons comme représentant de ce modèle aussi bien Vigneronindependant qu’Amazon, Vivino ou LesNouveauxcavistes, chacun proposant d’organiser voire agréger les gammes commerciales de nombreux acteurs participants ainsi à la dynamique de ces souks numériques.
Pour les acteurs qui viennent proposer leurs produits sur ces places de marché, l’idée est aussi de recruter et d’augmenter leur chiffre d’affaires. « Ces places de marché sont un relai de croissance pour tous les acteurs internet. Tout le monde n’y va pas pour casser des prix. Si un acteur vient brader du Ruinart, c’est un imbécile car Ruinart se vend tout seul, mais tout le monde ne vient pas chercher du Ruinart.
Certains viennent chercher d’autres produits, et ces places de marché peuvent être un point d’entrer vers le site du vendeur de ce produit plus spécifique. Le vendeur ne bradera pas obligatoirement son prix, il se sera fait connaitre, aura recruté un nouveau client qui aura trouvé la petite pépite qu’il cherchait. Un autre cassera le prix sur Ruinart pour attirer des gens chez eux et leur vendre à un tarif normal d’autres produits. D’autres enfin ne font que brader/vendre à faible marge et sont voués à disparaitre. » nuance JR Lacaille.
Certes, mais reconnaissons néanmoins la nervosité des mouvements inter-entreprises de la nouvelle économie du vin, et les réorganisations régulières qui attestent de la difficulté de stabiliser le secteur.
Le rapprochement de vente-privée.com, avec lequel les cavistes ont déjà une grande histoire conflictuelle, et lepetitballon.com démontre l’évolution du modèle qui progressivement tente de s’installer comme un circuit de distribution à part entière et sortir de son positionnement de déstockage à prix cassés… créant du coup sa propre place de marché pour installer durablement les fournisseurs qui ont choisi ce circuit comme débouché mature.
Ces business models ne sont en effet pas encore bien sécurisés.
Mais caricaturer ces nouvelles formes de commerces potentiellement rentables demain, quitte à y perdre pour le moment des investissements qui s’évaporent en attendant qu’émergent les futurs leaders, serait trop simple :
« Il y a plusieurs modèles avec ces places de marché. On ne peut pas réduire cela à des « couloirs à flux » où sévissent des camelots. Ce sont aussi de vrais relais de croissance, soutient JR Lacaille. Un caviste indépendant, avec un petit site basique pourrait s’en servir pour accroitre ses ventes. »
Visionnaire, avant-gardiste, illusion ou pas, dans tous les cas, en multipliant l’offre, l’économie numérique accentue la pression concurrentielle. Et quelle que soit la forme de commerce, pour ce qui concerne nos univers de produits, tous s’approvisionnent à un moment ou un autre auprès des producteurs/vignerons/brasseurs.
Les cavistes vendent des produits consommables, rares et non reproductibles
Ce lien à la source est particulièrement important pour notre secteur d’activité.
Qu’il s’agisse de vins, de spiritueux de qualité et d’origine ou de bières de brasseries artisanales, ce qui justifient le rôle des cavistes c’est qu’ils dépendent intégralement (ou presque) d’un univers commercial composé de produits dont les particularités qualitatives sont issues de conditions de productions forcément limitées voire rares :
des terroirs, définis et donc non extensibles ; des millésimes, uniques et non reproductibles à l’identique ; des recettes, inspirées du savoir-faire et réajustés en permanence par des hommes et femmes tenus de s’adapter aux aléas climatiques qui affectent leurs récoltes.
Dans l’absolu, en termes de biens économiques théoriques, ils sont donc relativement rares et potentiellement non reproductibles stricto senso.
Le fait est en plus que normalement, une bouteille se vide donc se consomme à un moment ou un autre. Donc pour renouveler l’usage qui justifie son achat, il faut racheter une autre bouteille. Et si possible qualitativement comparable.
Le sourcing, c’est la clé du métier
Ce que se disputent les différents canaux de distribution, qu’ils soient traditionnels ou virtuels, c’est donc l’accès à ces «gisements de raretés relatives ».
La valeur en tant qu’opérateur du marché des distributeurs dépend de leur capacité à convoyer cet approvisionnement jusqu’au consommateur final en préservant cette qualité, en la sécurisant aux yeux du consommateur ; ils sont donc tenus de sélectionner le bon fournisseur ET le bon client. Internet ne renverse en effet pas les règles du commerce qui existent depuis la nuit des temps : le bon commerçant est celui qui a réussi à livrer le produit tel qu’on l’attend : frais, propre, en état de marche, … Un exercice difficile qui justifie la création d’une réputation qui valorise le détaillant.
Un marché d’image
Or, la force de ce modèle basé sur la réputation de l’intermédiaire est d’autant plus importante et nécessaire que les qualités des produits convoyés sont difficiles à évaluer.
C’est le cas des vins, notamment des grands terroirs, des Champagne et autres boissons haut-de-gamme dont les subtilités qualitatives ne peuvent être appréciées que par des consommateurs qui ont « investi » culturellement dans la connaissance nécessaire à l’évaluation de cette qualité. Ce qui leur confère un positionnement en tant que bien culturel.
Ce qui se joue en Chine contre la contrefaçon défend les fondations de cette logique de réputation sur laquelle se fondent les grandes marques et qui conditionne leur valeur. La force, et donc la valeur, d’une marque c’est la confiance qu’on lui attribue quant à sa qualité donc non seulement l’assurance qu’elle est issue d’une production supposée qualitative, mais en plus l’assurance que son canal de distribution soit capable de gérer dans le temps la constance de cette qualité et qu’on puisse retrouve cette qualité lorsqu’on renouvelle l’achat : niveau de qualité/constance/régularité.
La difficulté réelle de définir objectivement la qualité de nos produits explique le poids, parfois excessif, conférés dans nos univers aux avis d’experts, supposés orienter les clients connaisseurs.
Car au final ce sont ces derniers, les connaisseurs, qui servent de références aux consommateurs non avertis, soucieux quant à eux de répondre aux attentes sociales véhiculées par cette culture. Et le développement des modèles participatifs, comme Vivino doit forcément interroger sur la remise en cause, la « démocratisation relative » de ceux qui définissent ces codes.
Nous vendons des produits de culture … et il faut défendre cette exception économique
Pourquoi nos univers marquent-ils ainsi l’appartenance culturelle ? Parce que pour apprécier justement les subtilités qualitatives des vins et alcools de qualité, il faut des palais aptes à reconnaître la complexité sensorielle et donc formés. Et apprécier le vin, notamment, c’est une marque d’éducation, voire de civilisation.
Rien n’est pire que de constater que le roi est nu. C’est ce qui explique le statut des vins et boissons accompagnant les moments sociaux les plus universellement marquants : les repas. C’est l’occasion (inconsciente) de révéler son rôle social et de montrer à ses convives la place qu’on leur attribue dans la hiérarchie sociale. Et de vérifier qu’ils en sont dignes.
Dans ce jeu de rôle qu’est la société culturelle, le rôle du Sachant est donc essentiel.
Car historiquement, cette culture coïncide avec celles des sphères de pouvoirs et des influenceurs.
Et comme, ceci explique malgré tout cela, la maitrise de cette culture implique de gros investissements éducatifs à titre personnel, c’est la notoriété (de la marque, de celui qui a apporté la bouteille, du caviste) qui sert de substitut.
La notoriété, que ce soit celle d’une marque ou d’une personne, s’inscrit en règle générale dans le Temps.
Rares, consommables, non reproductibles complètement, culturels, ces attributs qualitatifs conditionnent la structure de la filière des vins et alcools d’origine et tradition, de l’amont jusqu’à l’aval.
La chaine de distribution est essentielle pour sécuriser la qualité
La seule garantie de qualité pour des produits complexes comme les nôtres repose donc sur la confiance accordée à l’intermédiaire commerçant, supposé capable non seulement de détecter la qualité mais aussi de contrôler sa constance et son renouvellement.
Comment ?
Parce que son activité dépend de la maitrise de la chaine de distribution. Au même titre que les cavistes apportent aux clients des garanties de qualité (en plus des sélections et disponibilités) pour des produits qui y trouvent une valeur sécurisée par le jeu même du commerçant, les circuits de distribution ont permis de créer l’image de marque des grandes signatures partout dans le monde.
Le bon commerçant est celui qui connait le bon distributeur et qui sait acheter. Et là encore, quand le marché est un marché qui repose sur la rareté, la réputation se nourrit de répétitions et de relations durables. Elle s’acquière avec du temps.
« La force des cavistes, c’est leur résistance au temps et leur durée » rappelait le président du SCP Y Legrand lors du dernier CA, une solidité à mettre en regard de l’époque actuelle, basée sur l’instantané.
Or, au même titre qu’un commerçant qui sélectionne un produit et sait expliquer son choix à ses clients donc leur propose d’acquérir une part de son savoir, les distributeurs en amont sont soucieux de rentabiliser leurs efforts dans la chaine de commercialisation par une image qui leur permettra d’acquérir plus facilement les prochaines gisements et de les vendre plus rapidement. C’est le principe général qui permet la reconduite durable du modèle.
Pour pouvoir créer cette valeur immatérielle, on ne vend pas du vin, du Champagne ou des whiskies de marque comme on vend du beurre, de la lessive ou une machine à laver le linge. Les critères de qualité des premiers sont facilement compréhensibles et reconnaissables concrètement : un terroir et un processus (et une histoire qui le rend certes moins vecteur de codes sociaux), une formule ou un plan technique ou un certificat de qualité à suivre à la lettre et sans trop de risque d’interprétation pour les autres. Mais pas évident de pour pouvoir vraiment juger et apprécier la qualité du vin ou d’une grande cuvée … ce qui peut conduire au « mystique ».
La distribution de « produits culturels consommables rares et non reproductibles » exigent donc de financer des stocks pour se garantir l’accès à cette rareté relative et pour rémunérer la fidélité.
Et pour justifier de tels investissements, il faut que leurs retours soient à la hauteur.
Or, internet, en tant que technologie nouvelle et pas encore bien régulée menace de casser en 2 clics des positionnements sophistiqués mais certes fragiles. La facilité ouverte à des organisations logistiques et à des processus de décisions qui jusqu’ici étaient lourds et complexes (c’est tout l’intérêt d’une évolution technologique, c’est de faciliter un travail humain) favorise le court-circuitage de ces échelons (censés garantir la qualité des produits grâce à un processus reposant sur la répétition et la réputation).
Sauf que ce sont ces positionnements sur lesquels s’appuient de nombreux professionnels … dont les cavistes. Et dont leurs fournisseurs directs. Et que plus les marques sont exposées car à forte notoriété, plus elles sont fragiles.
Sortir de l’ornière du prix en valorisant la singularité du caviste
L’accélération de la concurrence par la livraison brute du prix au consommateur final menace tous les positionnements ; ils assurent pourtant l’équilibre de cette mécanique sophistiquée et fragile.
Difficile en effet d’expliquer l’importance du rôle de tous ces intermédiaires et la nécessité qu’ils soient rémunérés pour les valeurs ajoutées immatérielles qu’ils apportent réellement à la diffusion de ces produits et à leur renouvellement.
Mais s’ils ne pèsent pas l’importance de ces coûts à immatériels à consolider, certains sites internet peuvent aussi scier la branche sur laquelle ils sont eux-mêmes perchés.
Car une fois que les investissements ont été faits par les cavistes et les distributeurs sérieux, rien de plus simple pour les « prédateurs » du web qui, évidemment, sévissent sur la toile comme ailleurs, d’utiliser voire de brader le dernier signal qui exprime le résultat de ces différentes interventions, c’est à dire le prix.
Eviter les bulles financières
Ces comportements opportunistes sont d’autant plus simples que les ventes virtuelles pourraient presque permettre d’éviter tout ce qui faisait jusqu’ici le principe même du commerce : on achète, donc on investit, en vue d’une revente et donc il faut entre temps assurer le stockage des quantités.
Aujourd’hui, le digital peut virtualiser tous ces flux : dans l’absolu, les opérateurs sur internet n’auraient qu’à relayer des informations et à toucher la commission. Ce n’est apparemment pas ce qui se passe dans le monde des vins, tant mieux. Mais cette différence résistera t’elle à la pression ?
L’époque est à rechercher les flux de visiteurs, pour les envoyer sur d’autres spots ou pour obtenir une rémunération de leur passage. Face à des business models pas encore très stabilisés, et si les marges commerciales traditionnelles semblent parfois réelles selon JR Lacaille, fervent soutien à la commercialisation des vins par internet, c’est malgré tout aussi l’influence créée par ces passages qui est supposée valorisable à terme…
Quitte à attirer ces visiteurs par des vitrines très larges et très bien fournies, par des annonces promotionnelles bien relayées sur les axes passant du web, ou par des informations gratuites (le modèle économique de la presse est à genou … ce qui menace l’indépendance de l’information), la logique conduisant ces visiteurs à regarder effectivement les plus belles et qualitatives annonces mises en avant … pour concrétiser éventuellement un achat dans un rayon moins mis en valeur mais qui leur permettra d’acheter moins cher le produit qu’ils auront vu en vitrine la page précédente.
Anticiper c’est réagir
La fuite en avant des nouveaux acteurs du web tenus d’acquérir la taille critique (en termes de trafic et/ou de CA directement réalisé par ce biais) qui leur est nécessaire pour rentabiliser leurs investissements menace de tout broyer sur leur passage.
Dont les résultats de siècles d’évolution des consciences et de maturité des peuples.
Faut il considérer dès à présent l’inéluctable et s’y résoudre ? Ou peut-on au moins éviter de nourrir la bête et ne pas lui laisser systématiquement le champ libre ?
Car le pire n’étant jamais sûr (ce que l’éducation et la culture des siècles passés ont permis aussi de constater), l’heure est à résister, un discours que les cavistes, lorsqu’ils ont eux-mêmes opéré une reconversion et choisi ainsi une voie alternative, devraient bien comprendre.
Le rôle du SCP est de préparer les cavistes aux évolutions du métier, de les professionnaliser pour qu’ils puissent jouer pleinement de leurs atouts et prendre conscience de leur fragilité.
« Nous ne sommes pas des show room » clamait D. Fenouil lors des 1eres Assises de la commercialisation des cavistes au Chemin des Vignes fin 2012. Six ans après, le sujet mérite réflexion.
Aux yeux des consommateurs, les cavistes semblent garder leur positionnement d’intermédiaire humain de confiance. Mais attention, cette belle image qualitative et de proximité, certains sont en train de la dégrader sur des places de marché composites, facilitant leur détournement par des camelots déballant à l’arrache pour faire quelques gros coups et repartir sans état d’âme..
Ne sont pas cavistes ceux qui ne vendent pas en point de vente physique spécialisé des vins et/ou alcools acquis auprès de différents producteurs à des clientèles de particuliers.
Et sur le site Lesnouveauxcavistes, le si mal nommé, près de 30% des opérateurs ne sont pas cavistes !
Les autres jouent naïvement à un jeu qui ne peut que se retourner contre la profession : ils s’exposent en plus à des distorsions de concurrence qui seront forcément destructrices.
Sachons résister à la tentation du court terme. Un message que pourtant les cavistes devraient être les premiers à appliquer !
Quelles réactions adopter ?
Certes, il faut réussir à toucher les clients qui n’ont jamais appris à entrer chez le caviste. Mais faut-il pour autant semer la confusion chez ces derniers et leur faire croire que n’importe quel site spécialisé est digne de porter cette dénomination ? Une vraie question car, d’ailleurs, peut-on considérer que tous les cavistes sont dignes du nom ?
Plutôt qu’alimenter des sites trop généralistes, pourquoi ne pas au contraire réserver votre notoriété pour nourrir la visibilité de sites qui évitent de jouer le nivellement par le bas, ce que jusqu’ici Cavistesauthentiques, en n’exposant que des offres cavistes et en leur offrant la possibilité de proposer leurs pépites, celles qu’ils sont peu à pouvoir proposer et qui limite les risques de mises en concurrence déflationnistes.
Certes, l’époque est au gratuit, mais rappelez-vous que si un service est gratuit, c’est que c’est vous qui êtes monétisés.
Savoir raison garder
Pour la société de distribution spécialiste des cavistes, Dugas, « il faut prendre en considération cette nouvelle dynamique, tout en préservant le savoir-faire et l’expertise de nos métiers dont les fondamentaux restent : la sélection, le conseil et la dégustation.
À ce titre, il est déterminant pour chaque caviste de repenser sa proposition de valeur pour satisfaire les nouvelles attentes du consommateur final. L’enjeu est donc de trouver un angle qui répond aux besoins de simplicité et de clarté des consommateurs, avec des canaux de distribution complémentaires et rigoureux (délais de livraison), tout en s’appuyant sur les partenaires qui seront en mesure de proposer un modèle économique qui leur soit profitable. »
Ce qui devient compliqué, c’est en effet quand c’est le fournisseur qui participe voire organise ce type de fuites en avant.
C’est le cas avec le site incriminé ci-dessus, lancé par Ricard qui avoue chercher lui-même un moyen de contrer la concurrence hyper déflationniste de ses marchés traditionnels de grande distribution.
Mais c’est aussi le cas des négociants bordelais évoqués ci-dessus et demain ce sera aussi le cas de MHD, Ruinart, Bollinger, Billecart bientôt… Ou même de Thiénot qui en achetant le site ventealapropriete.com tente d’intégrer ainsi l’aval au risque de concurrencer ses propres distributeurs, dont les cavistes.
C’est aussi, à son corps défendant, le cas subis par la société RFD, trahie par un intermédiaire indélicat ne respectant pas les canaux qui lui sont dévolus et qui est allé chasser des nouveaux marchés outre chanel en passant par Amazon … quitte à détruire au passage les positionnements prix du pays du collègue de son propre distributeur.
Un cas typique de braconnage en terres normalement alliées … mais qui remet en cause les alliances anciennes. Donc rien de bien neuf dans l’absolu si ce n’est les moyens utilisés. Mais comment réagir face à une telle situation ? Se retourner contre le braconnier qui a choisi de son propre chef de contourner la règle en allant chasser en dehors de son pré-carré et le pendre ? Ou dénoncer ce fait auprès de son voisin indélicat … et lui demander de mettre de l’ordre dans son écurie lui-même s’il ne veut pas perdre la face ?
C’est finalement une solution intermédiaire qu’ont retenu les cavistes alors que la fête des pères menaçait plus que jamais de voir la concurrence en ligne réduire des ventes pourtant essentielles pour le circuit des cavistes.
Le SCP a donc relayé à ses adhérents cavistes l’information qu’une offre de cuvée rare était proposée par Amazon via un intermédiaire anglais à un tarif inférieur en TTC à celui vendu hors taxes aux cavistes par le distributeur officiel en France. Une distorsion tarifaire calamiteuse pour l’image des cavistes qui deviennent ainsi suspects de pratiquer des tarifs indignes !
La réaction du SCP répond aux retours du terrain de cavistes de plus en plus inquiets de ces concurrences et qui ne savent plus comment réagir. Quelle place reste t’il donc aux cavistes si les cuvées les plus rares sont systématiquement vendues sur le net ? « La majorité des cavistes est déjà dépossédée des grands Bordeaux, actuellement il n’y pas plus de vins disponibles en matière de grands Bourgogne… » rappelle à nouveau justement JR Lacaille. Mais …. justement ... ce qui part à l’export pourrait-il revenir par ricochet via les sites internet mondialisés à des prix inatteignables pour les distributeurs locaux ?
Protéger les producteurs d’eux-mêmes
L’objectif de cette action était clair : renvoyer collectivement un signal fort au distributeur concerné pour qu’il trouve l’énergie en interne de rappeler les règles et de les faire respecter. Car l’heure n’est plus aux discussions courtoises et non suivies d’effet. Chacun se doit de protéger ses positions … et d’en ouvrir de nouvelles.
C’est l’objet des discussions de partenariat qui doivent en effet se penser ensemble dans le cadre du club Vino Semper : réfléchir ensemble aux moyens de défendre et développer les positions communes, pas chacun pour soi et s’excuser après coup de ne rien avoir pu faire.
Car les enjeux sont importants et systémiques y compris pour les producteurs eux-mêmes : si la chaine de distribution est si facilement court-circuitée et que ce risque augmente à mesure que les références sont lointaines, alors comment le producteur peut-il lui-même continuer de valoriser ces produits exceptionnels sur les marchés lointains ? Car rappelons-le, ce qui créé la valeur d’un « produit culturel consommable rare et non substituable » c’est la reconnaissance que leur confère leur positionnement commercial d’exception dans les lieux qui sont reconnus pour valoriser cette exception. Comment alors rentabiliser les investissements qui auront été nécessaires à cette reconnaissance si ils sont immédiatement contournés ?
Le Champagne aurait-il acquis cette notoriété et atteint du coup et sécurisé cette dimension qualitative si ses négociants n’avaient pas pu maitriser sa distribution et la faire rayonner sur des marchés lointains ?
Le risque est grand de voir ces grandes cuvées systématiquement concurrencées par les ventes sur internet et que les cavistes soient progressivement dépossédés de ces positionnements haut-de-gamme.
Faut-il alors retirer des rayons des cavistes les productions lointaines pour privilégier, l’époque est aussi à cela, les seules productions en circuits courts ? Cela ne freinera t’il pas du coup pas la naissance de productions qui auraient méritées de s’épanouir et qui ne le pourraient plus faute d’investissements commerciaux ?
Le caviste, moteur de l’innovation
« Le rôle des cavistes c’est d’avoir toujours un tour d’avance » défend celui qui fut toujours à l’avant-garde, D. Fenouil. Depuis 35 ans cette capacité d’innovation a fait le succès du Repaire de Bacchus qui continue aujourd’hui, plus que jamais, de découvrir les nouvelles tendances et de les proposer dans ses quarante boutiques parisiennes.
Pour lui, éternel offensif, plutôt que de pleurnicher ou de regretter avec amertume la fin d’un monde de toute façon déjà enterré, l’époque est à avancer encore plus vite pour précéder les tendances.
Un positionnement dont rêvent de nombreux cavistes, notamment en province, mais dans de nombreuses régions ou localités de France, les consommateurs ne sont pas forcément si avant-gardistes et ouverts à la découverte. Difficile pour les cavistes alors de résister à la tendance de fond et à cette concurrence virtuelle qui finira malgré tout par les rattraper.
Pour faire vivre l’image des cavistes, ne laissons pas les bons produits aux autres circuits !
Le SCP va mettre en place au sein du SCP un outil permettant de valoriser et porter à la connaissance des cavistes des produits novateurs. Comme la veille concurrentielle adressée régulièrement par email FLASH INFOS aux cavistes adhérents du SCP, cette « Veille positive » relaiera les informations communiquées par les cavistes soucieux de contribuer par ce moyen à la défense et le développement du circuit… donc d’eux-mêmes.
Face à cette concurrence, le vrai nouveau caviste, fort de sa présence physique et de sa boutique ouverte à tous, propose aussi bien des références sûres, qu’il sera capable de vendre immédiatement, pour un cadeau ou un moment protocolaire qu’il sécurise ainsi par son intermédiation, que des signatures encore rares car portées par un circuit soucieux de conserver cette primauté.
Il/Elle se devra de relayer des productions locales et authentiques et des produits d’exceptions qui incarnent l’excellence de cultures lointaines et reconnues par les connaisseurs.
Il/elle devra de ce fait revenir à ce qui fait l’essence du commerce, c’est à dire l’échange. « Commercer c’est entretenir la relation avec autrui », aime à rappeler Yves Legrand, riche d’une carrière longue mais plus que jamais perspicace quant aux enjeux intemporels.
Et comme le rappelle pour conclure L Chartreux, « A date, les principaux concurrents des cavistes reste la grande distribution et les commerces de proximité » !