Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le nouveau gouvernement semble vouloir révolutionner toutes les organisations traditionnelles du pays ce qui suscite de nombreuses inquiétudes et hostilités.
Pourtant, il est un chantier qu’il nous semblerait utile de rouvrir : celui qui réglemente les pratiques concurrentielles pour les commerçant(e)s spécialisé(e)s.
Dissocier les commerces spécialisés de la grande distribution
Pour un commerçant, le fait de se spécialiser dans un univers de produits, c’est un choix d’entreprise et surtout le choix d’un positionnement qui, d’emblée, le distingue des commerces généralistes : c’est accepter de se soumettre à des saisonnalités, qu’elles soient liées à la demande ou à l’offre, et restreindre sa cible de clientèle pour leur apporter des qualités et des sélections plus poussées et moins courantes.
Les cavistes sont doublement exposés : ils dépendent, pour réaliser leurs chiffres d’affaires, à la fois de pics de consommation cruciaux : les fêtes de fin d’année surtout, le printemps et ses fêtes familiales (fêtes des pères, etc) et parfois les foires aux vins d’automne.
Ils dépendent aussi, du fait des spécificités du produit Vins, produit issus d’une matière première agricole dont les quantités et qualités dépendent de la récolte, annuelle, de périodes d’approvisionnements qu’ils ne doivent pas rater afin de s’assurer de disposer des produits qui seront demandés, ou qu’ils sont tenus de proposer, à leurs clients.
Or, le sang des entreprises, c’est leur trésorerie.
Et chacun comprend immédiatement que la saisonnalité de l’activité impacte annuellement les trésoreries des cavistes, justement parce que, eux, sont spécialisés, alors que des commerces généralistes, la grande distribution en tête, a les moyens de lisser sur l’année ses flux financiers du fait de ses univers commerciaux complémentaires.
Les cavistes, acteurs majeurs de la diversité vigneronne
Se spécialiser dans la vente de vins et alcools de tradition et de qualité, c’est assurément donc un choix d’entreprise et une implication concrète au sein des filières de production, la filière viticole notamment.
En effet, en sélectionnant et accompagnant les références qu’ils ont sélectionnés jusqu’au consommateur final, les cavistes assurent le rôle économique historique du négociant : celui de créer une image de marque et une valeur ajoutée en aval, qui bénéficie en retour aux vignerons qui peuvent ainsi valoriser leur production.
En outre, en distribuant sur tout le territoire les centaines de milliers de références que leurs confient les vignerons, les 5735 cavistes de France (chiffres 2017, sources EQUONOXE/SCP) leur permettent de vivre de leurs terroirs, de leur talents et d’exprimer leurs originalités.
Une belle collaboration vertueuse et inter-professionnelle, au sens premier du terme, alors que le monde pleure aujourd’hui la disparition de ses diversités économiques et culturelles.
Une profession militante et en première ligne
Le cœur de métier d’un commerçant spécialisé, c’est de proposer une gamme large de produits.
Dans le cas des cavistes, ces produits ont une durée de vie longue (contrairement par exemple aux commerçants de produits frais, tenus de les vendre avant péremption).
Or, la pression faite sur les prix par les enseignes de la grande distribution, qui instrumentalisent les vins comme produits d’appel pour recruter les clientèles CSP+, fragilise les cavistes qui peinent à créer des marges suffisantes pour financer des charges de structures nécessaires.
Comment installer alors durablement un modèle mobilisant suffisamment de capitaux pour financer des stocks toujours, par essence même, lourds, car répondant à ce qui fait leur spécificité : proposer diversité et qualité, ce qui implique des stocks structurellement élevés (cuvées limitées, productions artisanales donc rares, etc).
Les cavistes afin que les spécificités des commerçants spécialisés, ce que sont les cavistes, comme leurs confrères et consoeurs détaillants spécialisés en fromages, fruits et légumes, bouchers et autres poissonniers. Il est temps en effet que nos activités soient officiellement dissociées de la grande distribution et des autres univers généralistes.
Et il serait temps de comprendre que les cavistes sont les principaux conseilleurs et formateurs à la dégustation et à la découverte de l’univers culturel des vins et alcools de qualité et de traditions.
Les délais de paiement, des usages traditionnels adaptés jusqu’ici aux spécificités viticoles
A l’heure actuelle, les cavistes sont soumis aux mêmes règles que celles imposées à la grande distribution, alors que leur rôle économique au sein de la filière viticole est radicalement différent et que leur force de frappe les place du côté de David contre Goliath.
Les cavistes sont donc tenus, depuis les dernières mesures de contrôle de la loi LME, de régler leurs fournisseurs à 30 jours fin de mois pour les alcools et spiritueux et à 60 jours pour les vins. Des délais qui sont jugés difficiles à tenir pour un tiers des cavistes (réponses forcément sous estimées).
Il faut en effet rappeler que les relations de partenariats durables établies entre les cavistes et leurs vigneron(ne)s reposaient souvent sur des délais plus souples afind e faire face aux périodes tendues pour les uns et les autres.
Or, le resserrage des boulons depuis deux ans, s’accompagnant de contrôles de plus en plus réguliers et qui exposent, après avertissement, les cavistes, ainsi que leurs partenaires vignerons, à des sanctions sérieuses (75 000 euros en cas de dépassement des délais réglementaires) fait peser une véritable épée de Damoclès pour ces cavistes, notamment dans les régions relativement voisines des régions viticoles.
Et la conjoncture récente va accentuer notre propos : pour faire face aux conséquences de la petite récolte, les opérateurs sont en train de se couvrir et d’acquérir les stocks qui leur seront nécessaires pour répondre à la demande de leurs clientèles. Que deviendront ceux qui ne pourront pas le faire ?
Certes, le Syndicat des Cavistes Professionnels est en discussion auprès des organismes bancaires pour sensibiliser les banques aux spécificités de la profession, mais quelles que soient les solutions bancaires, elles auront toutes un coût et resteront difficiles à envisager pour les toutes petites structures qui n’ont pas les compétences et savoir-faire de directeurs financiers.
Il serait donc plus sécurisant de desserrer la règle pour permettre à notre circuit composé majoritairement d’artisans de se concentrer sur son métier principal : créer de la valeur ajoutée et de la marge en tant qu’intermédiaire spécialisé.
Une fenêtre politique qui s’ouvre
Lors des récents États généraux de l’Alimentation, les filières agricoles ont été sommées de revoir leurs relations afin de trouver des justes régulations permettant de désarmer la grande distribution. Celle-ci, très (trop) concentrée, dicte tyranniquement des règles qui étranglent le monde agricole et poussent des paysans et agriculteurs à la ruine et au désespoir.
Mais qu’est-ce qui a conduit à ces excès si ce n’est justement l’hyper concentration de la distribution aux mains d’opérateurs généralistes ?
C’est donc le moment de proposer et de faire entendre l’intérêt de scinder la distribution en deux : les généralistes d’un côté, les spécialisés de l’autre.
Cette distinction, et le rôle des commerçants spécialisés dans les grandes équilibres concurrentiels, est valable pour les cavistes ainsi que pour toutes les filières agricoles ne nécessitant pas forcément l’intervention d’activité de transformation à forte concentration capitalistique.
C’est le message que nous allons adresser au gouvernement prochainement, associés en cela avec d’autres professions de commerce alimentaire spécialisé…
Signalons d’ailleurs que dans certaines filières agricoles, les commerçants sont intégrés aux interprofessions nationales (crêmiers-fromagers dans l’interprofession du lait, bouchers et charcutiers dans les interprofessions viandes, etc.).
De nombreuses filières agricoles ont en effet vu se contracter voire disparaitre leurs détaillants spécialisés, incapables de résister à la concurrence massifiante de la grande distribution, locomotive conquérante de la société de consommation des trente glorieuses.
Les institutions traditionnelles de la filière viticole ne sont plus adaptées ?
La filière viticole a pu résister parce que le produit vin reste jusqu’ici valorisé par sa diversité (terroirs, vignerons) et le travail des vignerons continuent de dessiner les territoires restés ruraux.
Résistant à la pression centralisatrice d’une république jacobine, elle a défendu jusque-là un modèle institutionnel reposant sur des gouvernances régionales, permettant aux vignerons (indépendants ou en coopératives) et aux négociants de gérer ensemble l’identité de leurs appellations.
Mais alors que les enjeux sont majeurs, comment accepter qu’alors que leurs représentants nationaux éjectent aussi brutalement les cavistes de toute partie prenante à ces discussions ? C’est en effet le sens de la déclaration unilatérale faite par le Président du Comité National des Interprofessions viticoles, l’organe qui réunit et représente les différentes interprofessions viticoles régionales.
Comment comprendre leur refus de toute évolution si ce n’est par une stratégie juridique convaincu que l’immobilisme vaut mieux que tout progrès, arcbouté sur des dogmes juridiques qui cimentent le modèle interprofessionnel viticole ? Pourtant, nous cavistes, par notre dynamisme et notre volontarisme, aurions tant à apporter à ces instances recroquevillées sur des frontières de filières datées et devenues obsolètes.
Mais au-delà de ce mépris ou de cette indifférence, la position du Comité National des Interprofessions Viticole, qui associe formellement et officiellement les cavistes aux acteurs de la grande distribution (voir l’Echo du CNIV), risque de ruiner le travail de fond et de fourmis menés par nos milliers de boutiques pour résister à l’homogénéisation des signaux, une tendance que les places de marché accélèrent.
Rappelons que les premiers à en souffrir, une fois les cavistes morts, ce seront les vignerons, les vrais, ceux qui exploitent des petites surfaces et qui font vivre la diversité de ces cultures du vin. Il sera trop tard alors pour pleurer et les responsabilités devront être assumées …