La trésorerie pour les cavistes : un enjeu pour l’avenir

Champs de vignes

D’après une étude Altares, les retards de paiement en France ne cessent de progresser depuis une dizaine d’années en France. Au troisième trimestre 2015, seules 36,2% des entreprises réglaient leurs factures dans les délais contre 39% l’an passé, et les TPE/PME sont particulièrement victimes et fragilisées par ces « incidents ». Une vraie menace pour la collectivité car les retards de paiement qui fragilisent le tissu économique suffisent, dans un contexte de si faible croissance, à enrayer la mécanique de relance.

Controle entrepriseC’est pour répondre à cette fragilité macro-économique que les services de Bercy sont particulièrement offensifs quant à la bonne application de la loi ; depuis 2015, dans chaque département, 2 contrôleurs de la DGCCRF seraient mandatés pour auditer les entreprises et sanctionner sévèrement celles qui ne respectent pas la loi et seraient donc coupables de faire de la rétention abusive de trésorerie.

Les cavistes, comme n’importe quelle entreprise, sont concernés par ces situations, que ce soit en tant que victimes de délais de paiement trop longs ou que, et c’est l’objet de cet article, en tant que payeurs tardifs eux-mêmes ; des cavistes ont fait l’objet de ces contrôles et chacun reconnait que les usages en vigueur dans la profession ne permettent parfois pas de respecter strictement les délais réglementaires.

Ce sujet a fait l’objet de véritables débats au sein du Syndicat des cavistes professionnels.

Dans l’absolu, chacun comprend bien la nécessité de sécuriser les structures d’entreprises des vignerons en amont, pour justement protéger et faire vivre la richesse et la diversité des filières viticoles composées d’entreprises artisanales ou agricoles souvent de petite taille. Rappelons d’ailleurs qu’au cœur des contrats interprofessionnels qui unissent récoltants et négociants au sein de certaines régions viticoles d’appellation (et qui justifient l’existence des interprofessions) figurent des contrats collectifs (et validés par décrets) qui étalent les paiements de la vendange sur plusieurs règlements qui tiennent compte de la saisonnalité des trésoreries des deux familles.

Mais le métier de caviste aussi est fragile en raison de charges fixes lourdes et de marges très faibles. Le taux de valeur ajoutée des cavistes s’effritent année après année et il atteignait les 20% sur l’exercice 2014 (étude publiée sur les pages réservées aux adhérents du site du SCP, réactualisation en cours) à comparer aux autres commerces (des éléments ?)

Les cavistes ont besoin par contre de pouvoir immobiliser des capitaux sur des périodes que les banques ne comprennent pas et que la trésorerie ne suffit pas à combler et ce pour faire vivre leur positionnement commercial et résister à la concurrence standardisant et qualitativement appauvrissante des autres circuits de distribution des vins et alcools.

C’est le message que le SCP va porter auprès des services compétents du Secrétariat d’état au Commerce.

APPEL A TÉMOIGNAGE

Si vous avez été vous-mêmes, en tant que cavistes, contrôlés voire sanctionnés dans ce cadre (pour non respect des délais de paiement), merci de prendre contact avec nous d’urgence.

Un cadre général qui plafonne les délais de paiement à 30 jours pour les achats de boissons alcooliques

Rappelons que la loi Macron du 8 août 2015 prévoit dans son cadre général que les professionnels puissent convenir entre eux moyennant contrat d’un délai de règlement qui ne peux pas dépasser 60 jours à compter de la date d’émission de la facture (ou de 45 jours à fin du mois, notamment en cas de factures périodiques, ce qui est le cas lors de relations commerciales durables, et sous réserve qu’il n’y ait pas d’abus vis-à-vis du créancier. En l’absence d’un tel contrat, la facture doit être payée au plus tard le 30ème jour suivant la date de réception des marchandises.

Pour certains produits alimentaires, ou en matière de transport, ses délais sont réduits. C’est le cas pour les achats de boissons alcooliques passibles des droits de consommation prévus à l’article 403 du Code général des impôts, pour lesquels les délais légaux sont plafonnés à 30 jours après la fin du mois de livraison.

Cave à vins LeclercOr, selon la centrale de bilan du réseau de comptables FCGA (échantillon de 444 bilans de cavistes en 4725Z composé  à 43,9% d’entreprises de moins de 181 K € donc qui surreprésente les « petits cavistes »), le crédit fournisseur des cavistes s’élève à 60 jours d’achats TTC pour 2015 (et même à 66 jours pour les entreprises qui réalisent un CA annuel de plus d’1,5 millions d’euros).

Cet indicateur, qui exprime le crédit accordé à l’acheteur par le fournisseur dans le cadre de son contrat commercial, atteste donc du fait que c’est l’ensemble de la profession Caviste qui, de façon structurelle, travaille à partir de délais de paiement supérieurs à ceux plafonné par la loi.

Pourtant, certains secteurs d’activité ont pu bénéficier d’accords dérogatoires (loi n°2012-387 du 22 mars 2012). Ces secteurs, cinq en tout, ont pu arguer du caractère saisonnier particulièrement marqué de leur activité et bénéficier ainsi de délais de paiement supérieurs (mais qui restent limités au dernier plafond prévu par l’accord dérogatoire conclu sous l’empire de la Loi de Modernisation de l’Économie). Parmi ces secteurs, celui des articles de sports, du jouet, du cuir, de l’horlogerie-bijouterie-joaillerie-orfèvrerie et celui des agroéquipements.

Et pourquoi pas les cavistes, en tant que commerces spécialisés en métier de bouche d’origine agricoles, qui en plus s’appuient et font vivre un tissu productif local et respectueux des conditions de travail et d’aménagement du territoire françaises ?

Des éléments objectifs qui justifient les retards de paiement

Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’un caviste règle tardivement les factures à ses fournisseurs.

Lorsque la trésorerie manque, le règlement trimestriel de la TVA incite les sociétés concernées, la plupart du temps de petite taille, à repousser le paiement des factures à la fin du trimestre pour pouvoir conserver cette trésorerie le plus longtemps possible avant restitution au trésor public ; rappelons que 30,1% des entreprises cavistes réalisaient moins de 200 K € HT/an de 2012 à 2014, chiffres disponibles dans les pages d’études réservées du SCP, en cours de réactualisation.

Equonoxe/SCP
Sources societe.com
4251 chiffres d’affaires relevés

Les vins sont des biens économiques hors normes, qui ne se résument pas à une combinaison prix /coûts de production industrialisable en flux tendus.
Pour produire des vins dignes de ce nom, c’est-à-dire qu’ils expriment la rencontre entre un terroir et le travail de l’humain qui va en extraire sa typicité et la vinifier en fonction de son savoir faire et de sa sensibilité, il faut …. du temps.

Cette définition du vin, c’est le parti pris culturel qui justifie le rôle et le positionnement même des cavistes de France.

Ce temps, il revêt plusieurs formes.

Le millésime va faire varier le résultat de cette alchimie, en quantité et en qualité, une variabilité qu’il faut ensuite expliquer aux clientèles qui n’a pas forcément toutes les connaissances culturelles pour juger du bon rapport qualité-prix et qui va la plupart du temps de limiter à quelques signaux : le prix, l’appellation et/ou la réputation du producteur, du millésime, etc… (voir article sur les clientèles).

Le caractère unique de cette « communion » créé une certaine rareté, à laquelle les cavistes n’ont pas d’autres choix que de répondre en réservant les vins. Plusieurs formes existent, la plupart impliquant d’acheter d’avance, les cavistes n’ayant pas d’autres choix que de financer des stocks, que parfois ils n’ont pas encore en magasin (c’est le cas des allocations en primeurs) ou qu’ils ont acheté avant que les vins ne puissent être bus et qui vont exiger du temps de vieillissement avant maturité.

Le réseau de comptables FCGA calcule un taux de rotation des stocks de 94 jours de ventes pour 2015, un niveau comparable aux 2,6 à 3 mois de stocks communiqués par les cavistes à Equonoxe jusqu’en 2010 dans le cadre de l’indicateur d’activité qui suivait alors l’évolution du poids des stocks par régions d’appellation.
Dans les faits, les relations de confiance et de compréhensions mutuelles établies entre cavistes et vignerons permettaient d’adapter les conditions de règlement des uns aux autres aux réalités conjoncturelles et les usages s’affranchissaient en effet des délais de paiement réglementaires.

Par ailleurs, la temporalité inhérente à l’activité du caviste est également liée au caractère saisonnier de la vente de vins et d’alcools de qualité, une caractéristique qui n’est pas propre aux seuls cavistes mais qui compte tenu du fait précédent, affecte d’autant plus leurs trésoreries.
Le besoin en fonds de roulement, qui représente les besoins de financement à court terme d’une entreprise, résulte des décalages des flux de trésorerie correspondant aux décaissements et aux encaissements liés à l’activité opérationnelle. Il est de 17 jours selon l’échantillon suivi par les comptables du réseau FCGA.

Selon les chiffres du baromètre d’activité des cavistes calculés depuis 2014, presque 20% du chiffre d’affaires annuel est réalisé sur le mois de décembre, ce qui permet le règlement des commandes passées les mois précédent en perspective de ce ventes de fin d’année et qui doit permettre de tenir jusqu’aux prochaines périodes d’activité dynamiques, c’est-à-dire lorsque le soleil revient en fin de printemps … ce qui là encore dépend du temps.

Donner aux cavistes les moyens de résister à la concurrence

A ces  réalités structurelles qui méritent de lire les besoins de trésorerie des cavistes comme variant selon la période, s’ajoutent une nouvelle réalité que l’application stricte de la loi en matière de délais de paiement hypothèque.

La conjoncture maussade accentue l’agressivité des concurrences des cavistes : l’attention donnée par les enseignes de GD aux foires aux vins démontre l‘importance pour les grandes enseignes de ces opérations promotionnelles devenues incontournables et qui attirent des clientèles que les enseignes cherchent à fidéliser. Pour se faire, les communications sont énormes et les cassages de prix aussi, des signaux forcément attractifs pour les connaisseurs qui constituent le cœur de clientèle des cavistes.

Face à ces rouleaux compresseurs, et malgré de réels efforts des cavistes pour résister, le principe de réalité rattrape, comme le soulignait Aude Legrand dans son intervention (l’Avis du caviste – Lettre d’information de septembre-octobre 2016) qui regrette la difficulté pour les cavistes d’immobiliser l’argent nécessaire pour s‘assurer d’acheter suffisamment tôt les quantités qui permettront de communiquer, comme le fait la GD, dans les revues spécialisées aux périodes adaptées à leurs contraintes de tirage.

Le sujet des délais de paiement concentre donc plusieurs enjeux pour les cavistes :
–    continuer à faire vivre une activité qui économiquement peine à rentrer dans des critères de rentabilité classiques mais qui fait rayonner une dimension culturelle de notre pays qui en fait la richesse ;
–    résister à une pression concurrentielle qui repose sur des « coups promotionnels » exigeant des immobilisations de capitaux que la nature même de la production rend difficile à financer dans le cadre strict de la loi et qui exige un assouplissement de celle-ci.

Une prochaine réunion avec les services centraux de la DGCCRF va permettre d’ouvrir le sujet et de sensibiliser les autorités.

Pour tous renseignements et témoignages, merci de nous contacter scp@cavistesprofessionnels.fr

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