Syndicat des Cavistes Professionnels

La Nature de la discorde ?

Chef Sommelier REVEAL'UPDrôle d’époque !

Alors que le phénomène Bio est sorti de la marge dans laquelle il fermentait depuis 40 ans et qu’il devient un argument vendeur, des « revendicateurs » y trouvent prétextes à la démolition de ceux qui adoptent des stratégies différentes, à l’image de ces postures débiles dont le paysage institutionnel et contestataire français est si coutumier. Du gâchis !?

Remettons d’abord ces sujets en perspective par rapport aux grands enjeux actuels comme intemporels, puis des personnalités Cavistes s’exprimeront sur ces fameux « vins Nature ».

Le vin repose sur un positionnement culturel dû à sa consommation qui n’a pas eu les mêmes conséquences sur ses organisations que dans d’autres filières agricoles  : alors que les rayons bio ou les commerces Bio fleurissent dans les univers alimentaires, la diffusion du Bio tend à s’appuyer sur les circuits existant et notamment sur le relais qui en est fait par les Cavistes.


Synchrétisme : le Vin toujours au coeur des nouvelles croyances ?

Dans 6 mois se tiendra la Conférence Climat à Paris, réunissant tous les acteurs mondiaux autour d’une thématique vitale : comment sauver l’espèce humaine de la catastrophe qu’elle a déclenchée ?

Une dimension catastrophiste, réelle, qui peut s’apparenter à celles racontées dans les légendes et textes fondateurs venus d’autres temps,

« Incapable de le retenir, Sisyphe, désemparé, tétanisé, regardait le rocher dévaler la pente, écrasant l’espoir »,

cet aspect mythique pouvant aussi nous motiver (le pire n’étant jamais sûr, la preuve). Aborder le sujet par cette voie c’est aussi souligner la puissance de ce qui cimente l’Humanité : sa dimension culturelle, siège de sa capacité réflexive pour (ré)agir en tant qu’espèce et y Croire.

Car la prise de conscience en cours malgré tout rapide, bien que tardive, dans la mesure où elle va déterminer notre capacité à sauver nos descendants de l’extinction, s’apparente sous certains aspects à la diffusion d’une nouvelle forme religieuse. La dimension mystique en moins. Les spiritualités écologiques ne sont pas nées d’hier mais elles trouvent aujourd’hui une écoute telle qu’elles sont capables de faire bouger les modèles écoomiques.

Les spécificités objectives et culturelles du vin, sang de la terre pour les uns, divin breuvage pour les autres, lui confèrent une réelle force symbolique que les précédentes histoires spirituelles lui avaient déjà attribuée.

Au point même de nourrir ses propres querelles de chapelles contemporaines.

Une dynamique révolutionnaire tirée par le Marché ?

Les nouveaux « consomm’acteurs » préoccupés d’éthique et santé des produits sont en train de faire émerger des marchés qui, de niche, devienent porteurs. Cette demande suscite des conversions qui s’accélèrent coté Production. Certes, le phénomène s’accentue sur fond de motivations moins altruistes que celles des pionniers, mais tels les marchands du Temple, ces intérêts individuels font office de fourmis de ces diffusions. De la capacité réformatrice du capitalisme et des systèmes qui l’ont précédé…
La logique marchande digère l’évolution morale et altruiste. C’est finalement le chemin organisationnel pris par notre espèce pour évoluer, pour modifier l’inertie de ses habitudes et pour conduire « le troupeau » à se saisir des innovations ouvertes par les pionniers du genre.

La logique de marché, bien que brutale, force donc à évoluer … C’est le principe de destruction créatrice schumpeterien. En matière de développement durable, la vague libérale qu’a connu la Nouvelle Zélande à la fin des années 1980, période de grave crise sociale, a malgré tout aussi débouché sur une stratégie volontariste créatrice de cette image « verte » qui fait le succès actuel de ses vins sur les marchés les plus dynamiques et curieux, à des niveaux de prix qui laissent les vignerons français pantois …

Les nouveaux prophètes

En France, les vignerons du Bio avaient soit refusé les étapes productivistes des trente glorieuses et gardé des relations fortes et spirituelles avec leurs vignes et son sang, soit, suite à des parcours personnels qui leur sont propres, ils ont souhaité trouver ou retrouver du sens dans la relation établie avec le matériel végétal et son environnement. Quelque soit leur parcours, avec la reconnaissance et la valorisation des critères de l’agriculture biologique, ils sortent aujourd’hui de cette marginalité qui les avaient le plus souvent mis au ban des communautés régionales « Non, les braves gens n’aiment pas qu’on, suive une autre route qu’eux ».

C’est dans des régions souffrant de reconnaissance faible de leurs appellations collectives, les régions du Languedoc notamment (bénéficiant aussi de conditions météorologiques locales permettant la mise en place plus aisée de ces méthodes culturales que ne le peuvent leurs confrères ligériens ou champenois par exemple, plus exposés aux intempéries) mais aussi en Alsace, que les vignerons les plus dynamiques ont trouvé dans la viticulture biologique un moyen pertinent de valoriser leur activité, la mention Bio devenant un vrai + à une communication différenciante. Ce n’est en effet pas un hasard si Millésime Bio naquit dans ces régions qui ont su prendre le cap, au point de tirer vers le haut l’image de leurs vins et appellations devenues aujourd’hui très recherchés au point, fait exceptionnel, d’étendre la zone de production.

Car la clientèle accompagne ces essors, ce qui démontre leur pertinence et leur adaptation à un besoin réel. Une clientèle mue soit par ses propres intérêts, de santé pour elle-même, voire pour les plus nobles esprits, par une recherche à la limite du spirituel, de respect de la mère nourricière Gaïa voire de lutte politique écologiste. Et ces différentes aspirations coagulent pour tirer et développer ce qui devient aujourd’hui un vrai marché. Des profils suffisamment disparates pour constituer à un moment ou un autre une réelle et nouvelle communauté que l’on respecte et qui fait des émules.

La diffusion de la bonne parole, ou la légende du Colibri ?

Ce qui fait la force du mouvement en cours, c’est qu’il semble que chaque acteur soit effectivement en train de se saisir, à son niveau, du sujet. « Agir local, penser global ».

La nouvelle société de l’information autorise voire met en place des moyens d’organisation collective ultra efficaces qui reposent sur la force des intelligences. Et, clairement, c’est un nouveau monde qui s’ouvre que peinent à comprendre nos élites formées aux règles de l’autorité hiérarchique …

Aujourd’hui, les « conversions » au bio s’accélèrent,

coté consommateurs, d’abord (88% des français consomment des produits Bio, sources Agence Bio/CSA de janvier 2015), qui sont de plus en plus nombreux (ils étaient 75% en 2013, et 54% en 2003) et de plus en plus « pratiquants » (62% sont des « bio-réguliers » c’est-à-dire en consomment au moins 1 fois par mois ; ils étaient 49% en 2013) ;

mais également, du coté des producteurs, les avant-gardes militantes aidant les autres à franchir le pas. Dans les départements Sud Est de la France, de 12 à 20% des surfaces agricoles utiles étaient cultivées en bio en 2014 contre moins de 1% dans les régions d’agricultures dites « riches » de Picardie, Champagne et autres Beauces céréalières. Le passage en Bio reste en effet une opportunité pour contourner des handicaps originels, son développement est plus aisé dans les zones de faible productivité qui leur apporte l’avantage comparatif et sa rente d’innovation.

Et la tendance est telle que même les résistances des cahiers des charges collectifs type Appellations d’Origine, jusqu’ici freins (conscients ou inconscients) à ces évolutions, commencent à fissurer. Leurs responsables réfléchissent au moyen d’intégrer à leur référentiel des critères vertueux et guident leurs communautés de vignerons dans une démarche devenue nécessaire mais qui implique de sacrées remises en cause individuelle, long chemin pavé d’embuches.

Jusqu’à la terre Promise …

Si de nombreuses régions viticoles françaises travaillent pour le moment à impulser des politiques collectives qualitatives, qui commencent à porter leurs fruits, la communauté champenoise, toujours en avance, prépare sa révolution verte.

L’interdiction annoncée à court terme de tout recours aux pesticides conduit ses opérateurs, sous la coordination d’une organisation interprofessionnelle toujours aussi avant gardiste, à engager massivement le vignoble dans une démarche à Haute Valeur environnementale. Difficile transition qui impliquera d’organiser des mains d’œuvre forcément plus nombreuses à la conduite de la vigne, pour sortir du « confort chimique » auquel des générations de vignerons se sont habitués depuis les années 1960.
Il s’agit donc bien d’une Révolution qui est en cours, révolution douce, réformiste mais réelle et qui forcera chacun à remettre en cause ses habitudes, ce qui ne peut que susciter des résistances, générationnelles et culturelles.

Le législateur aussi, dans le même temps, organise ce virage, à coups de carottes et de baton : renforcement des réglementations pour limiter les pollutions des zones phréatiques, interdiction des dispositifs de traitement intensif (hélicoptères), objectifs d’approvisionnement en bio des établissements scolaires ; bref, l’ensemble de la machine « vire de bord »…

Au loin une lumière

Le relais est pris par les relais d’opinion et fédérations : opérations de promotion (Printemps du Bio récemment par exemple), et les relais médiatiques récupèrent, à leur façon, le sujet, les plus hyènes se contenant de souffler sur des braises archi brulées pour susciter les effets sulfureux qui nourrit les machines à scandale qui les font vivre … Suivez mon regard.

Le Bio, sujet de division ?

Les échéances sont là, les enjeux majeurs, le train a enfin bien démarré et la bonne parole se répand …

Mais pourquoi, alors, ces cacophonies actuelles, ces critiques destructives, ces énergies perdues dans notre secteur à créer des divisions internes plutôt qu’à fédérer les énergies positives et en amplifier les résultats, pour conduire le peuple vers sa terre promise (ou pour construire une arche, à chacun sa référence et son angoisse de l’avenir).

Car de l’énergie, sur ces sujets, il y en a et c’est très positif.

Reconnaissons qu’il devient très difficile de mobiliser aujourd’hui, et que ce devient même kafkaïen de réunir des professionnels toujours trop débordés pour pouvoir assister à des réunions qui pourtant concernent leur propre avenir (sur fond de défiance parfois, voire souvent, légitime envers les institutions). Seuls, les « milieux Bios » suscitent de l’intérêt et bénéficient de bonnes mobilisations.

Depuis quelques temps, ces énergies passent au cap 2 ; elles sont en mesure de Construire.

Mais les échéances sociétales mériteraient qu’ils et elles évitent les travers classiques de mouvements traditionnellement contestataires où les scissions deviennent systématiques dès lors qu’on est plus de 3 et que les argumentaires dogmatiques prennent le dessus sur les projets communs, non ?

La difficulté du management collectif gâche des énergies pourtant utiles et encore trop rares.

labels environnementauxChez les Cavistes, les traditionnelles oppositions entre modèles d’entreprises restent vives, entre gérants de tous poils, plus ou moins réellement indépendants, réseaux de responsables de magasins salariés qui dépendent de la qualité des modèles managériaux qui les animent. En aval, les clientèles sont embrouillées par ces guéguerres stériles et qui surtout divisent, alors que les communications autour du vin sont salies par des reportages sensationnalistes à charge, puants et destructeurs, jetant le bébé avec l’eau du bain ; comme le dit Dominique Fenouil (Dirigeant-fondateur du repaire de Bacchus), « à en croire les journalistes ([ de l’émission spéciale sur le vin diffusée par Canal+ le 23 mars dernier] le monde du vin n’est que magouille, recherche de profit, malhonnêteté ; en résumé un monde sans amour ».

Raccourcis mensongers de charognards, qui accentuent le brouillage du message à adresser à nos clientèles, d’aujourd’hui et de demain : car ce qui fédère les Cavistes, c’est qu’ils s’adressent à des clients auxquels ils tiennent un message sur l’univers alcoolisé, vin et autres alcools, qu’ils leur vendent. Et quoiqu’on en pense, derrière les discussions autour du bienfondé ou des mauvais usages d’une Loi Evin destinée au départ à protéger les populations fragiles des matraquages publicitaires des grosses entreprises, le danger est celui des modèles de société hyper moralisateurs et standardisant les modes de vie et de pensée souhaités par des extrémistes doctrinaires, qu’ils soient barbus ou pas. C’est le principe même de liberté et de démocratie qui se joue par la défense des valeurs du Vin.

Méfions-nous donc des chasses aux sorcières !

Brandir un étendard différenciant, pour justement se singulariser par rapport à la concurrence c’est de bonne guerre et même normal. Si ça marche, c’est le jeu de la concurrence.

C’est clair, le sujet des vins « natures » interpelle : Car rappelle Stéphane Alberti, meilleur Caviste de France « le vin, il faut d’abord qu’il soit bon. Après, si il développe des acidités volatiles, s’il a des « bret » (bretanomyces), qu’il a des défauts, je suis désolé, il n’est pas bon. ».

s alberti2 30102014De la subjectivité des goûts et des couleurs ? Soit, notamment en matière de vin, culture qui glorifie justement le droit et même la richesse de la différence et de la diversité. Et, quoiqu’en disent les experts actuels, les palais s’habituent à tout.

Pour Stéphane, qui était présent dès le 1er Salon Millésime Bio  en tant que Caviste et soutien de la démarche, « tout le monde est bien conscient que l’agriculture biologique voire la biodynamie sont des méthodes efficaces et cela permet aux vignes de bien se réguler. D’ailleurs, de nombreuses signatures prestigieuses pratiquent, parfois depuis longtemps »  et de citer Château Pontet Cadet à Bordeaux, Château Margaux qui fait des tests et La Romanee Conti depuis toujours conduite en biodynamie.

Certes, pour peu que le travail soit en effet bien fait, ces pratiques, parfaitement suivies sur le plan légistatif, avec des normes et des labels qui ont du sens, sont à la base d’excellents vins.

Mais le flou qui entoure l’expression Vins nature, ou naturels, laisse ouvert des pratiques « d’energumènes baba cool qui laissent la vigne faire n’importe quoi » et qui tablent plus sur le côté sympathique de leur attitude et des étiquettes rigolotes pour finalement proposer des produits à la limite du vendable.

Cela veut dire quoi Vins nature ? Vins sans soufre ? Vignes laissées à l’abandon ? Il faut une vraie hygiène dans la conduite de la vigne, et dans la vinification ensuite, rappelle Stéphane, ce qui est loin d’être le cas de trop nombreux pratiquants du vins nature » … « alors qu’il y a des vins vraiment excellents, comme Marcel Lapierre en Beaujolais, ou Ragueneau, qui se signalent comme vins nature ».

« Le problème c’est que du coup ils font croire à des gens que c’est du vin, et les en dégoutent. Pour moi le choix est clair : si pas de plaisir, pas d’intérêt ».

Que le vin sorte, grâce à ces vins nature, de son positionnement patrimonial, qu’il se libère de sa dimension de stockage et de placement ? Excellente nouvelle.

Une approche résolument tendance, particulièrement adaptée au développement des Cavistes Bars à vins qui justement permettraient de jouer sur la dimension évènementielle de ces vins à DLUO (date limite d’utilisation optimale), ce qui dynamiserait d’autant des comportements de consommation et donc d’achat des vins dont il faut enrayer l’espacement s’accentuant (rappelons que près de 7 clients des Cavistes sur 10 viennent au moins une fois chaque mois… mais que les clients quotidiens voire Pluri hebdomadaires se font plus rares … voir résultat de la dernière enquête sur les clients des Cavistes en 2015 sur les pages réservées du site www.cavistesprofessionnels.fr/pro/pro).

Mais pourquoi cette hargne à démolir les autres vins et les modèles de production et de distribution conventionnels ? Alors que toute la machine est justement en train d’évoluer en profondeur …?

Ces adeptes de la naturalité absolue, en théorie du moins (à quand la première vraie soirée Vins et Naturisme ?) craignent-ils un marché insuffisant pour un produit aux vertus pourtant éthiquement telles qu’à terme il ne peut que légitimer sa place ? A moins que derrière les discours vertueux et soucieux d’une pureté universaliste forcément ne se déguisent des enjeux finalement bien terre à terre, des stratégies basées sur le buzz, qui ne se soucient que fort peu de l’intérêt général ?

Vous avez dit « Vin Nature » ?

« Vin nature, c’est un non-sens, selon Yves Legrand, président du Syndicat des Cavistes professionnels ; cela signifierait que l’Homme n’intervient pas ? Mais le vin est tout sauf un produit naturel.

Si ces gens-là avaient fait du latin et du grec (sujets décidément de pleines actualités) ils se seraient nourris de l’histoire des sociétés antiques et auraient constaté que si le vin a été récupéré par les religions, c’est parce qu’il ne pouvait être que le fruit de la Terre ET des hommes, qu’il implique donc cette notion de communion ( !! on y revient toujours).

Et, souligne Yves dans un clin d’œil, rappelons que le mot ET, issu du latin, est une « conjonction de coordination » …  Alors, imaginer un vin exempt d’intervention humaine … Une aberration.

« La vigne est un bonzaï que l’homme ne cesse de rogner et de tripoter, l’Homme est un gros dégueulasse, comme disait notre Reiser ». Alors, elle est belle, tiens, la naturalité de son fruit !

Evitons les querelles entre chapelles ?

Chaque Caviste porte sa propre différence, c’est ce qui fait la force et la valeur de la profession. Mais aussi sa faiblesse si ces énergies individuelles sont utilisées pour « casser » le confrère plutôt que faire vivre l’image collective du Caviste, un commerçant qui met en avant sa spécialisation et accueille sa clientèle qu’il accompagne dans son choix et sa découverte d’un univers qui le passionne.

Car le coté sombre de la Force n’est pas si loin, et pour s’en protéger, les récents mouvements, qu’ils soient entrepreneuriaux (réseaux organisés qui poursuivent voire accélèrent leur développement) ou associatifs, forme non aboutie  du premier, démontrent que les rapprochements en collectifs forts sont nécessaires dans le contexte de mutation actuel et que plus que jamais, c’est la solitude qui fragilise.

Réjouissons-nous de la naissance de l’association des Cavistes alternatifs, et souhaitant leur de transformer leur énergie en réussites, pour leurs commerces, car ce sont avant tout des entrepreneurs qui, pour pouvoir porter leur singularité, doivent gagner en durabilité ce que les vins dont ils font la promotion ont d’éphémère.


Un rendez-vous à ne pas manquer : l’AG du SCP, le 22 juin à l’Assemblée Nationale. Signalez votre présence (demande d’identité obligatoire).