Les débordements brutaux et agressifs des supporteurs qui ont joué le match au coup de poing à Marseille le 11 juin 2016, lors du premier match de l’Euro entre la Russie et la Grande Bretagne ont choqué l’opinion publique.
Réagissant face à ces émeutes, les pouvoirs publics vont en imputer la responsabilité à la consommation d’alcool. Et de se lamenter de l’éternelle diabolisation du produit tandis que les irresponsabilités individuelles passent en second plan…
Contester un arrêté préfectoral et le pouvoir régalien de l’état ?Des cavistes avaient déjà subi, ou craint de subir, des restrictions à la vente lors de manifestations très locales, comme à Montpellier en 2015 à l’occasion de l’Euro de Basket. Jusqu’ici ce type d’injonctions juridiques émanaient de municipalités déposant des arrêtés municipaux. Mais à l’occasion de l’Euro, c’est l’État même qui, au nom du Ministre de l’Intérieur, impose ces mesures, compliquant tout recours, forcément long et non suspensif. Certes, comme toute décision administrative un arrêté préfectoral peut faire l’objet d’un recours gracieux, d’un recours hiérarchique ou d’un recours judiciaire. Le recours gracieux s’effectue auprès du préfet auteur de la décision tandis que le recours hiérarchique s’effectue auprès du supérieur hiérarchique du préfet … donc du ministre, rendant ainsi le sujet très politique. Un citoyen peut cependant aussi attaquer un arrêté préfectoral en justice, devant les juridictions administratives. Deux recours sont alors possibles : dénoncer un excès de pouvoir, le jugement permettant, de contester la légalité d’une décision administrative irrégulière et d’en demander l’annulation au juge administratif (seul ou représenté par un avocat). le recours en plein contentieux peut s’exercer dans le cadre d’un recours électoral, recours avec une demande d’indemnisation financière,…et exige la présence d’un avocat. Des démarches lourdes et complexes qui ne permettront pas d’échapper au risque posé par les mesures de restriction de ventes demandées par les préfets des zones de match exposées. |
Liberté opposée à l’ordre public ?
Le sujet reste difficile, toujours, car il pose clairement la question de la maturité et de la liberté des peuples et de la vision qu’en ont leurs élites. En ce sens, la philosophie républicaine française s’oppose diamétralement à la société libérale assumée aux Etats Unis qui continuent d’autoriser la vente libre d’armes au nom du 1er amendement et malgré des niveaux de massacres croissants. Difficile d’adopter une position manichéenne donc sur ces principes très culturels de liberté/responsabilité sans glisser dans des excès stériles et destructeurs.
Dans le cas qui nous préoccupe, la dimension culturelle est immédiate dès lors qu’on écoute les intentions délibérées de ces armées d’hooligans venus là pour se confronter aux bandes des pays concurrents… La présence d’alcool dans ces ambiances n’est donc pas la raison ni le déclencheur des bagarres, à la rigueur un instrument facilitateur voire amplificateur.
C’est la position prise par l’Anpaa, par la voix de son vice-président Bernard Basset qui sur France Inter le 18 juin 2016 expliquait que « Si on freine la disponibilité d’alcool, on freine le niveau de violence ».
Mondialisation et uniformisation des fondements culturels
Tout est pourtant dit par un supporter britannique qui témoigne à la radio : eux, grands Bretons, savent que pour les Français, boire c’est pour apprécier et déguster, mais pour eux, « quand on boit c’est pour devenir saoul, c’est comme ça, c’est la culture ».
A l’écoute des déclarations des supporteurs, ce sont donc bien les comportements qui sont en cause, des comportements très différents entre les sociétés d’Europe du Nord ou de l’Est et celles méditerranéennes du sud de l’Europe, structurées par et autour de l’usage du vin vécu comme régulateur des liens sociaux, donc modérateur, et qui a favorisé le développement de tout un art de vivre.
Un fossé culturel qui est donc bien compris par les populations et notamment celles les plus exposées aux déviances liées à l’alcoolisation excessive (dont la problématique sérieuse du binge drinking) mais que nos dirigeants continuent de balayer.
De l’imagination dans les préfectures
C’est donc pour éviter de nouvelles démonstrations barbares que le gouvernement via le Ministère de l’Intérieur a demandé à ses représentants locaux d’intervenir, ce qu’ils ont fait en réglementant l’accès à l’alcool.
Nous avons analysé 4 arrêtés préfectoraux (hors Paris) établis dans le cadre de l’Euro 2016. Ils ont été pris par les préfets eux-mêmes selon les contextes régionaux et leurs propres sensibilités.
Leurs différences sont révélatrices de la difficulté que pose la question des relations entre alcool et ordre public aux représentants de l’État. Voir article A la Une du site du SCP.
La plus intelligente, à notre sens, confiait aux commerçants en première ligne, la maîtrise des diffusions d’alcool en leur donnant les armes juridiques leur permettant de refuser la vente à des clientèles perçues comme potentiellement problématiques. C’est l’approche retenue par le Préfet lyonnais (région Auvergne-Rhône-Alpes)
La pire, à notre sens également, concernait Marseille et prévenait de façon très théorique les éventuels futurs débordements en définissant d’avance des zones d’interdiction très strictes (rues de Marseille nommément prévues)…. au risque de voir se développer des stratégies de contournements (frontières de quartier bien poreuses pour des gens déterminés à acheter des boissons et qui ne seraient pas découragés de marcher 100 mètres de plus pour atteindre une boutique dans le quartier d’à côté).
Heureusement, la concertation a permis d’éviter le pire.
De l’efficacité d’une représentation officielle de la profession : les Cavistes enfin entendus dans leur spécificité.
Saisis de cette situation, les responsables du Syndicat des Cavistes professionnels ont pu contacter les cavistes des zones concernées et organiser la réaction, collective et appréciée.
Grâce aux échanges et à la concertation établis avec ces professionnels, et à l’action simultanée des différentes représentativités syndicales des entreprises, une solution a été proposée au Préfet, qui l’a acceptée.
Ces intermédiations ont sensibilisé le préfet aux spécificités des Cavistes et, à la lecture des arrêtés produits par ces collègues des autres régions concernées, il a accepté de tenir compte de leur spécificité.
Les cavistes peuvent donc continuer à travailler les journées faisant l’objet de l’arrêté sous condition qu’ils (elles) le fassent la porte fermée et qu’ils (elles) n’ouvrent qu’à leur clientèle autochtone.
Une tolérance donc, qui ne sera pas mentionnée explicitement (pas d’amendement officiel de son arrêté premier) mais qui mérite d’être relayée afin que les cavistes puissent à l’avenir être mieux intégrés aux réflexions portant sur la problématique posée par les boissons alcooliques.
Plus que jamais c’est le moment de rappeler le rôle particulier joué par les cavistes en tant que formateurs culturels à la découverte et l’exploration des goûts et des sens permis par une dégustation modérée et responsable de nos produits.
C’est le moment aussi de mettre en avant l’outil conçu par les cavistes à cet effet pour installer ce rôle, majeur, des Cavistes dans ces débats : l’Antisèche de mon Caviste sera adressée dès la semaine prochaine à tous les Cavistes professionnels qui en ont fait la demande afin de faciliter cette transmission des bonnes pratiques à vos clientèles …
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