Voici venu le temps …
Les préoccupations environnementales arrivent en tête des actualités. Le modèle de sur-consommation n’a plus d’avenir et les populations ouvrent les yeux sur les dégâts, irréversibles, provoqués par des décennies d’inconscience.
Alors que les responsabilités individuelles et collectives sont renvoyées les unes aux autres, le secteur des boissons en général, dont les vins et alcools, suscite beaucoup d’attention.
Bref, nostalgies obligent, si les réflexes ont été perdus la plupart du temps, il reste des habitudes assez prêtes à renaître du côté des consommateurs.
Quel rôle, ou place, pour les cavistes en cas de retour à la consigne ?
Le retour aux sources
« Elle n’a jamais cessé d’exister chez moi pour le litre » rappelle Patrick Jourdain, dont la Cave de Cusset, près de Vichy (Caves Max Jourdain) continue de proposer de la vente en vrac à ses clients. « Mais pour la bouteille ce n’est plus possible à cause de l’étiquetage autocollant ».
Et de montrer du doigt directement ce qui rend le retour de la consigne si difficile à concevoir pour toute la filière viticole : le système Eco-emballage a en effet enclenché un modèle collectif de production difficile à remettre en cause. Les industriels verriers ont concentré leurs efforts pour limiter les dépenses globales d’énergie sur toute la chaîne (en matière de transport surtout) en développant le principe de recyclage du verre, refondu pour redevenir une matière première réutilisable dans les futures productions. Grâce au recyclage, le poids des bouteilles a pu aussi être réduit ce qui a permis d’économiser de la matière première ainsi que du transport.
Mais cette étape de refonte du verre est maintenant montrée du doigt car elle implique des températures très élevées (donc coûteuses en énergie, c’est la critique essentielle du modèle). Ces conditions ont cependant laissé toute latitude au développement de bouteilles allégées, l’automatisation à moindre coût du collage des étiquettes, etc. Des facilités adaptées aux innovations proposées par les imprimeurs et sociétés d’habillage.
Mais toute la mécanique circulaire mise en œuvre hypothèque toute possibilité de retour en « arrière ». « Les bouteilles sont devenues très fragiles et leur lavage compromis » regrette P Jourdain.
Le Réemploi, alternatives au recyclage
Pourtant, sur tout le territoire, des projets de consigne pour réemploi se développent. La plupart du temps impulsées par des consommateurs soucieux d’améliorer le système. Motivés par des problématiques globales et des angles d’attaque qui vont au-delà de la seule question de l’économie d’énergie.
Quelques chiffres :
En France, chaque année, 2,5 millions de tonnes de verre sont collectées, ce qui représente la moitié du tonnage des déchets ménagers.
Une fois nettoyé et broyé, le verre est fondu à 1500° pendant 24h pour produire de nouvelles bouteilles. Ce procédé industriel est très énergivore et nourrit une économie de marchés basée sur la revente de la matière première aux coûts du marché mondial ce qui contribue à la circulation à très grande échelle de ces matériaux… et le rachat de bouteilles pour l’embouteillage qui proviennent aujourd’hui de partout à travers le monde.
46% des émissions de CO2 d’une bouteille de vin sont liées à la fabrication et au transport de la bouteille !
Le réemploi divise par quatre l’empreinte C02 d’une bouteille (Etude Deroche & Consultants 2009) et permet d’utiliser une bouteille jusqu’à 30 fois, le gain écologique est majeur en comparaison avec la bouteille à usage unique. Aujourd’hui, la bouteille consignée consomme 33% d’eau de moins qu’une bouteille recyclée !
C’est le cas de l’association Bout’à’Bout sur la région Pays de la Loire qui « promeut un modèle d’économie relocalisée favorisant les producteurs de notre territoire, l’emploi local et la coopération entre les acteurs ».
A travers un réseau de quatre marchés, une trentaine d’épiceries vrac et/ou bio, une vingtaine de producteurs et quelques cafés ou restaurants qui collectent (et vendent) les bouteilles (de vins, bières ou autres jus et sodas), elle propose aux producteurs (surtout des brasseurs pour l’instant mais la démarche s’enrichit de quelques viticulteurs) toute une dynamique circulaire qui associe la mise en oeuvre technique en amont et la commercialisation complète de leurs bouteilles.
Pour les consommateurs, les choses sont simplifiées grâce aux labels qui figurent sur les étiquettes et qui permettent d’identifier les contenants concernés.
La démarche est similaire dans la région toulousaine, où l’association Consign’up, créée en Février 2019 (loi 1901) coordonne une vingtaine de producteurs dont sept vignerons, autant de points de vente et deux entreprises de logistique (qui rachètent à la fin du circuit les bouteilles vendues par les producteurs membres du réseau). Le projet associatif cherche à réinjecter la valeur ajoutée produite grâce à la réduction des kilomètres parcourus par une bouteille sur un cycle d’utilisation dans l’économie locale. Avec des résultats très encourageants puisque selon le bilan réalisé au 2ème trimestre 2019 à l’issue de 3 mois d’expérimentation (donc en pleine création du mouvement), 26% des 23 700 bouteilles vendues portant le logo consign’up avaient déjà été récupérées. L’initiative semble faire des émules avec 23 nouveaux producteurs candidats.
Les initiatives fleurissent sur tout le territoire, portées par des démarches associatives souvent issues de l’économie sociale et solidaire (ESS) s’appuyant le cas échéant sur des modes de financement participatif. Partout des projets sont au stade de l’étude de faisabilité ou en phase de test (la Consigne Sud Aquitaine, Luz Environnement dans le bordelais, La consigne bordelaise, Rebout’ dans le Centre, J’aime mes bouteilles dans le Jura). En Hauts de France, le projet Ramène ta Bouteille travaille avec la brasserie Moulins D’Ascq tandis que la région lyonnaise le projet Rebooteille (surtout bières) prépare son lancement prochain. Et Reverrecible dans la région de Grenoble qui lance en 2020 une filière locale de consigne pour l’emploi financée par crowfunding.
La mise en pratique est parfois menée en solo … en attendant de rencontrer d’autres convaincus. Ainsi, le domaine Enclos de Lacroix à Lansargues près de Montpellier qui dans le prolongement de sa démarche d’agro-écologie a créé une bouteille consignée et mis en place un système de lavage pour certains de ses vins.
Toutes ces démarches ont en commun de s’appuyer sur une base locale, en parallèle aux circuits courts qui se développent également sur fond de réappropriation citoyenne des actes de consommation.
Si’impulsion originelle de La consigne de Provence semble également « militante », elle a très tôt joué une carte plus institutionnelle, associant depuis 2016 des domaines viticoles pilotes, le syndicat de traitement et de valorisation des déchets (SIVED NG) local et une association d’entreprises fournisseuse de la filière viti-vinicole (Le Cluster Provence Rosé). Elle accompagne en effet le vignoble Provençal dans sa transition écologique, proposant aux producteurs un accompagnement sur-mesure incitatif, s’appuyant sur les réseaux de récupérations des déchets locaux prêts à s’ouvrir à la commercialisation par la grande distribution locale.
De l’autre côté de la chaîne, des jeunes entreprises proposent des solutions industrielles pour la réutilisation des contenants dont les bouteilles comme Solzero et des entreprises proposant, entre autres, du vin en vrac dans des bouteilles consignées conçues ad hoc, comme Jean Bouteille.
Il est où le caviste, il est où ?
Toutes ces propositions ont, en matière de vins, le gros défaut de se focaliser sur le contenant au détriment du contenu et du soin nécessaire à la conservation des vins de garde.
Cela explique qu’elles restent pour l’instant le plus souvent cantonnées à l’univers des magasins Bios. Mais les enseignes de distribution de centre-ville sont déjà sur les rangs (Franprix, Monoprix, etc…) et on sait comme les frontières sont poreuses avec les cavistes en termes de clientèles.
Ce sont les vins natures ou les vins de terroirs locaux qui trouvent donc le plus facilement leur place dans le dispositif. C’est l’angle d’attaque proposé le créateur du concept « Ma bouteille s’appelle reviens » qui, dans son Wine truck voué à tourner sur les marchés, associe bar à vins itinérant et vente de vins.
Sa sélection de vins 100% biologiques et naturels est proposée au litre. Et comme tout caviste-bar à vins, il propose à ses clients d’acheter ses vins dans une bouteille en verre désignée par Chantal Thomas et consignée 1, 50 euros. Dans de nombreuses villes des formules comparables fleurissent … mais la dimension locale de leur démarche en limite le développement.
En phase avec la responsabilisation du consom’acteur
Ceux qui compte sur la consigne pour responsabiliser les consommateurs vont à contre courant du processus de recyclage intégralement confié aux producteurs, ceux-ci déléguant la mission de collecte aux collectivités locales, conformément aux injonctions des pouvoirs publics. C’est un peu l’histoire du pot de terre contre le pot de fer.
Mais l’énormité du défi ne semble pas décourager les réseaux associatifs, venus de la société civile. Le label “Je m’engage pour la consigne”, décliné dans les Pays de Loire ou dans la région toulousaine, désigne certes les acteurs partenaires de la démarche. Mais il évoque aussi (voire surtout ?) cette notion d’Engagement si sensible pour les populations soucieuses de l’avenir et notamment les plus jeunes. « 61 % des 19-29 ans interrogés ont déclaré avoir changé de marque l’année dernière pour des raisons d’emballage, de recyclabilité ou de suremballage principalement »*
Une étude réalisée en 2018 par Citeo révélait que la recyclabilité était le 1er critère de perception d’un emballage respectueux de l’environnement. L’économie circulaire induite par ces démarches de consigne s’appuie en effet sur des formes de réappropriation de l’acte de consommer, à travers le jeu de circuits locaux (achat et collecte) et du « travail » (la « mission » ?) confié au consommateur qui doit, avant de rapporter la bouteille, la rincer et la rapporter sans bouchon en veillant bien à ne rapporter QUE les bouteilles porteuses du label.
« Pour être réemployées, les bouteilles doivent être suffisamment solides et leurs étiquettes doivent être conçues pour s’enlever au lavage. Le label permet de reconnaître les bouteilles pour lesquelles ces critères ont été vérifiés ou adaptés ! »
Un appel à la vigilance et à la responsabilité tout à fait audible en cette période d’accélération de la reprise en main citoyenne de l’acte de consommation : selon l’étude réalisée par l’ADEME en 2018, 88% des interviewés étaient favorables à un système de réutilisation, et même 100% en magasin bio. Une fois l’habitude prise de réutiliser les emballages, les consommateurs développent une très forte fidélité au système. Dans une étude menée par Nielsen fin 2018, 79% des 500 interviewés étaient très favorables à l’utilisation d’emballages rechargeables et 63% à l’utilisation d’emballages consignés. Ils étaient 79% à préférer acheter des emballages durables.
Du coup, la contrepartie monétaire, ou gratification, n’est pas moteur et si elle existe dans certains des modèles actuellement développés sur le territoire, ce n’est pas systématique.
La consigne des bières, des traditions qui retrouvent une modernité ?
La consigne a retrouvé une modernité dans les festivals, lorsque les buvettes ont dû trouver une alternative aux canettes en verre ou en plastique jetable. Elles ont ainsi généralisé les gobelets de plastique consignés. Ce sont les professionnels de la bière, en première ligne, qui ont trouvé la solution.
L’univers de la bière est en effet resté utilisateur du mécanisme de consigne ; les frontaliers qui vont acheter des bières en Allemagne ou en Belgique connaissent bien le mécanisme. Mais ailleurs aussi, dans les régions de bières, les habitudes sont fortes de cautionner les caisses et les bouteilles lors des achats auprès des distributeurs.
Les brasseries, comme Meteor en Alsace, ont donc conservé le réflexe de la consigne et même si les consommateurs finals n’en ont pas toujours conscience, la logistique est toujours en place … et pourrait faciliter le redéploiement.
Pas anodin en effet, le lancement en CHR par Heineken en 2016 d’une bouteille consignée et connectée (baptisée FOBO) pour sensibiliser consommateurs et débits de boissons au système de consigne. En 2017, c’étaient plus de 8.000 bars qui avaient adopté le système et 3.600 bouteilles avaient été activées, le brasseur en faisant son porte-drapeau en matière d’engagements sociétaux et environnementaux en France.
Mais tant qu’elle est aussi atomisée, la démarche reste artisanale et difficile à déployer à grande échelle.
De la difficulté d’aller au delà du local
Faute d’un dispositif nationalement organisé, les initiatives actuelles se retrouvent en effet rapidement confrontées à une problématique de taille critique et de capacité d’entrainement.
Des réseaux avancent néanmoins sur le sujet et testent des formules pour essayer de se positionner sur ce segment vecteur d’image.
Nicolas a tenté l’aventure en proposant dans ces boutiques de région parisienne depuis 2017 une référence de Côte du Rhône biologique (Vaison la Romaine) vendue dans sa bouteille consignée 0,20 €.
Le réseau Richard a également expérimenté le dispositif auprès de ses clients CHR et évalue qu’environ 100-150 milles bouteilles (uniquement de vins bios) ont été vendues dans le cadre d’une consignation dont 90% récupérées en effet par le réseau.
Ces tests encourageants incitent l’enseigne, également propriétaire du réseau de cavistes Intercaves, à envisager son ouverture prochaine aux gros établissements parisiens de restauration desservis par le réseau Richard, des grandes tables qui débitent des milliers de litres de vins par jour et qui envisagent carrément de revenir à des approvisionnements en vrac, par cuves inox consignées et réemployées.
Les réflexions sont en cours pour décliner cette offre aux commerces de proximité, bio déjà … Et ensuite les cavistes ? Rien n’est impossible, résume Laurent Arquetout, directeur des Opérations chez Richard.
Les logisticiens prêts à dégainer
Le fait est que ce sont les brasseurs, très concentrés, ou les grossistes distributeurs qui gèrent la logistique des établissements CHR qui sont les mieux avancés sur le sujet de la consigne.
Il faut dire que ces logisticiens, qui alimentent les dizaines de milliers d’établissements consommateurs ou distributeurs de bouteilles, s’appuient sur un modèle de gestion parallèle des filières « verres perdus » et « verres consignés ». Un socle qui facilite la réorientation du secteur.
Pour réussir, les acteurs militants de la consigne vont aussi devoir bien installer l’étape, fondamentale, du lavage des contenants en vue de la réutilisation. Cette intervention, cruciale, intervient après le processus de collecte et avant leur réemploi chez les producteurs. La question des normes d’hygiène et de lavage dans le cadre de la réutilisation de contenants impliquent des réglementations qui sont en cours de clarification.
Et le modèle économique de ces structures forcément incontournables est pour le moment plutôt celui d’entreprises en Economie Sociale et Solidaire.
Du rôle fondamental de l’action politique
Le réseau Consigne coordonne et impulse les différentes initiatives locales, au point de s’institutionnaliser et d’atteindre le statut d’interlocuteur officiel pour l’état. Mais la nécessaire structuration d’une vraie filière de consigne va s’accélérer grâce aux nouvelles orientations gouvernementales. La loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire adoptée jeudi 19 décembre à l’Assemblée Nationale fixe un objectif national contraignant de 5% minimum d’emballages mis en marché réemployés (exprimée en unités d’emballages) pour 2023 et de 10% pour 2027 (la version initiale votée en Commission Développement Durable prévoyait cependant 15% pour l’ensemble des emballages et 35% pour les boissons).
Pour atteindre ces résultats, la loi prévoit de fixer par décret les objectifs annuels de réemploi des emballages pour chaque filière et catégories de produits (avec obligation pour l’éco-organisme de la REP emballages de consacrer 2% minimum de son chiffre d’affaire au financement du vrac et du réemploi des emballages).
Ce qui a déçu les partisans de la consigne. Ils regrettent que les propositions en faveur de la « consigne pour réemploi » aient été globalement éclipsées par la bataille entre gouvernement et collectivités locales et renvoyées à un objectif de diminution de moitié des quantités de bouteilles plastiques mises en marché d’ici 2029 adossé à l’objectif de 90% de recyclage dans l’article relatif à la consigne.
Mais il est vrai que si les attentes sociétales et choix des consommateurs sont là et se font entendre, la capacité de réforme du modèle dépend des industriels qui en font l’inertie. Et sur ce sujet, ce sont les verriers et les réglementations internes aux filières qui devront bouger.
Ainsi que les gros faiseurs qui alimentent massivement les distributeurs.
La balle est dans le camp des fournisseurs et vignerons pour éviter que le sujet n’oublie de parler du contenu à force de se focaliser sur le contenant.
La consigne ne semble en effet pour l’instant pas primer chez les clients des cavistes alors qu’elle peut l’être davantage dans les commerces qui font du vrac et de l’économie d’emballages leurs principaux arguments commerciaux.
Mais il serait dommage de faire exploser l’image du vin, noyant celle du Bon vin dans une multitude de catégories qui ne pourraient plus se retrouver, du vin Bio au vin nature, comme si devaient être inconciliables les bons usages et les bons produits.
C’est l’image de modernité du vin qui doit aussi être bien véhiculée et ça, c’est le rôle des cavistes. Une réconciliation entre univers rendue possible par les dégustations en magasins (sous forme bars à vins ou de séances dédiées) qui permettent de mettre en scène les contenus sans s’arrêter à leurs contenants, tout en engageant une démarche de réduction durable des consommations d’énergies.
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