La vocation de la newsletter des Cavistes n’est pas de vanter tel ou tel vin, d’autres sont beaucoup plus légitimes pour cela.
L’objet de cet article est donc juste d’attirer l’attention de la profession sur l’existence de gisements de pépites, dans une région à laquelle on ne pense pas forcément immédiatement, pour alimenter des gammes destinée aux vrais amoureux du vin. Du vrai bon produit.
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Pas de vins « statutaires » qui « font bien » et rassurent devant la bonne société installée. Pas non plus des nectars mystiques qui flirtent avec le divin (quoique j’imagine que certains s’y retrouveront …). Pas non plus des vins « prise de tête » trop sophistiqués pour être vraiment appréciés par des palais non experts. Il ne s’agit pas non plus de parler de vins « pour se faire plaisir à la bonne franquette » même si ils le pourraient sans aucun doute. Non.
Je voudrais évoquer des vins qui ont été travaillés avec beaucoup d’Art et qui méritent de susciter l’attention au point d’y consacrer de vrais moments de dégustation, comme on va au concert, au cinéma pour voir un grand film ou au théâtre, pour profiter d’un moment de pure culture et d’émotion.
Il s’agit de vins du Roussillon. Ou plutôt, de vins dont les auteurs ont trouvé le Roussillon comme creuset…
Des terroirs à forts caractères
Dressons le contexte :
Des terres arides, véritables champs de cailloux balayés par les vents marins, nerveux et électrisants, ou par ceux qui viennent de la montagne pyrénéenne, toute proche, des vents froids et gorgés d’oxygène.
Des reliefs aiguisés, barrières minérales puissantes, saccadées, dont les pics abrupts retiennent les nuages, comme des domaines de dieux anciens que l’on imagine païens et cruels, chassés ensuite par des hommes endurants qui y ont construit d’austères bastides qui en imposent. Une minéralité magnétique, sèche, puissante.
Des conditions climatiques sans nuances, localement excessives, surprenantes, vivifiantes, capable de déchainements neigeux ou plus souvent de sécheresses estivales étouffantes.
Des aptitudes à vivre dans ces terres hostiles qui forgent les caractères des plantes, des animaux et des hommes qui s’y sont ancrés. Ces conditions forgent leur endurance, leur résistance, leur pugnacité, des atouts indispensables qui n’empêchent pas la profondeur des âmes.
Le vin est le sang de la terre
Passons maintenant au scenario :
Dans cet environnement inhospitalier, l’Homme a planté la vigne. Une façon de dompter cette nature aride, hostile, sauvage. L’éternel conquérant. Toujours cette façon virile de lui signifier « je suis là ».
Mais la majesté de ces forces telluriques force les gens de bien à rester humble, et à respecter. Cela n’a pas forcément été toujours le cas.
Parmi ceux qui aujourd’hui font évoluer les choses, le Bio est ressenti comme une évidence, comme une forme nécessaire de communication avec cette Terre. Sauf que contrairement à d’autres vignobles exposés aux intempéries plus humides, l’enjeu, là, n’est pas de résister aux conséquences de pluviosités vecteurs de maladies ou champignons, la seule option ici pour la vigne, c’est la survie : une lutte permanente pour accéder à la ressource en eau, rare et précieuse sous peine de finir étranglée et de disparaitre. Une approche virile du sujet, qui n’imagine peut-être pas que vis-à-vis du partenaire vivant, il peut aussi y avoir d’autres moyens de cohabiter. Par le mariage, l’alliance ; les plantes autochtones, aux essences également très concentrées, pourraient certainement devenir des alliées, pour peu qu’on les écoute …?
Le vin comme moyen d’expression rare
Le vignoble du Roussillon attire progressivement des nouvelles générations de vignerons, locales ou venues d’ailleurs. Des explorateurs-guerriers prêts à en découdre, qui lisent cet environnement sauvage comme une matière première brute qu’ils peuvent façonner en vins. Des vins qui leur permettent de s’exprimer.
Certains puisent dans cette puissance fougueuse issue du jus de la vigne une énergie qu’ils canalisent, avec beaucoup de sensibilité. Du bel artisanat, voire de l’artisanat d’art.
D’autres vont au-delà et parviennent à capter la sensualité de cette noble Nature, qu’ils épousent et engendrent ainsi de véritables œuvres d’art, toujours longues en bouche, puissantes et qui accrochent les capteurs olfactifs.
Une dynamique créatrice qui renverse la relation à l’ordre naturel des choses.
C’est une véritable révolution culturelle qui est en cours dans cette région.
Difficile, parce que passer du vin de soif, qui redonnait de l’énergie aux hommes-esclaves de la terre pauvre qui les malmenait, à du vin d’expression, qui célèbre le mariage, la fusion entre l’Homme et la Nature, c’est un cap difficile.
Une incompréhension comparable, entre les anciens et les nouveaux, à celle vécue ailleurs entre ouvriers des mines, jugeant les nouvelles générations éduquées et aux cols blancs.
Une hostilité sourde, mêlée d’affection, de respect, de frustrations pour ce qu’ils n’ont pas vécu eux-mêmes, …
Des ainés néanmoins, quoique pas toujours âgés, qui voient dans cette jeunesse qui souhaitent casser les codes traditionnels, la disparition inéluctable d’un monde qui leur glisse entre les doigts et qu’ils ne peuvent retenir. Une jeunesse, d’esprit surtout, qui progressivement accède à la légitimité, puisque les premiers à avoir cassé les codes sont parfois déjà néo-retraités et accompagnent eux-mêmes leurs propres descendants qui reprennent le flambeau…
Cette révolution, elle s’appuie donc sur des personnalités forcément très solides … et très sensibles.
En lutte permanente, domptant les éléments sans les soumettre, tenant bon malgré l’hostilité des ainés, ce contexte hyper émotionnel se traduit par des vins, sublimes blancs, rouges mystérieux et sensuels, rosés rares et précieux, qui entrainent les dégustateurs dans des univers aventureux.
Profonds dès l’arôme, long et multidimensionnel en bouche, chacun d’entre eux est une Expérience.
Impossible donc de les décrire. Chacun mérite de prendre le temps de sa découverte.
Comme si à partir d’un même bloc de matériau vivant et puissant, les vignerons avaient pu sculpter et exprimer leurs créativité sensorielle, donnant parfois vie à leurs propres chimères. Ils la donnent à partager, ouverture généreuse à ceux qui vont pouvoir s’enrichir de cette nouvelle expérience culturelle.
Asurement des vins qui méritent qu’on y consacre de l’attention…
Le Caviste est décidément un passeur de Culture …
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