Syndicat des Cavistes Professionnels

Des bières à Noël ? focus sur un marché de cavistes en plein boom

Les réunions de famille durant les fêtes de fin d’année s’accompagnent traditionnellement de prouesses culinaires incitant à des accompagnements mets-vin qui sacralisent le rôle des vins.

Mais la période est aussi propice, avant ou après les repas, aux moments de retrouvailles au cours desquels d’autres univers de produits peuvent jouer un rôle de liant social plaisant et consensuel. A côté des apéritifs traditionnels, les bières trouvent là un terrain d’expression en plein essor.

« Les bières de Noël restent des valeurs sures sur la fin d’année » explique Dorothée Van Agt, gérante de quatre établissements spécialisés Bières cultes à Paris, « et au-delà de cette consommation saisonnière, l’augmentation du chiffre d’affaires pendant les fêtes correspond au développement des achats-cadeaux, les bières spéciales étant maintenant perçues comme suffisamment qualitatives pour être placées sous le sapin. La diversification des produits complémentaires ; kit de brassage, livres, verres, produits d’épicerie à base de bière contribuent à cette approche.  »

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Des spécialités de bières qui contribuent au repositionnement du produit

Que ce soit sous forme de coffrets découverte, de belles bouteilles en série luxe ou autres, le segment des bières a considérablement bénéficié de la dynamique des créations/ouvertures de brasseries en cours ainsi que d’un renouvellement de l’image générale qui entoure cette production. Brassins spéciaux vieillis en barriques ou en fûts de whisky, de cognac, de vin, l’imagination ne manque pas au royaume des artisans brasseurs, qui ont réussi à déborder un modèle économique qui s’était hyper concentré autour de producteurs de taille mondiale. Le secteur retrouve ainsi une énergie concurrentielle et créative qui enthousiasme des consommateurs eux-aussi rajeunis …

Mais au-delà de ces hyper spécialistes, près des trois quart des cavistes interrogés lors de l’enquête Caviste 2017 (*) déclaraient vendre de la bière, une activité en forte progression dans le circuit y compris dans la plupart des régions proches des vignobles traditionnels, hormis Bourgogne Champagne-Ardenne et Provence-Alpes-Côte d’azur dans lesquelles moins de 60% des cavistes ont signalé proposer une gamme de bières spécialisées ou de tradition. Mais dans certaines régions, presque tous les cavistes se sont ouverts à ce nouveau marché.

Stimulés par cette diversité qualitative naissante, de nombreux cavistes ont rapidement saisi l’opportunité pour accompagner ces amateurs, aux profils un peu différent en effet de leur clientèle traditionnelle. Ces publics, motivés par la découverte d’un univers original, apprécient ses gammes riches et surtout en plein développement. Plus de 150 boutiques se sont même spécialisées sur cet univers, avec un rythme d’ouverture très supérieur à celui des autres boutiques cavistes, une dynamique qui atteste de la modernité du concept.

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Des clients motivés, curieux … et plus nombreux ?

Il faut dire que tout droit inspiré d’une tendance anglo-saxonne, très différente en cela de la culture méditerranéenne du vin, le phénomène des micro-brasseries arrivé en France depuis une décennie séduit des consommateurs trentenaires capables d’apprécier des goûts que l’on imaginait perdus pour des générations bercées aux douceurs sucrées et aux colas.

L’impact est donc autant organoleptique  que culturel : « nos clients commencent à s’approprier le vocabulaire spécifique » constate en effet Mme Van Agt. Des envies de découvertes que libèrent des modes de consommation pour la bière beaucoup plus décontractés, a contrario des cérémoniels qui entourent encore l’image de la dégustation des vins.

Curieux de découverte, ils apprécient et plébiscitent des saveurs amères voire très amères, découvrent de nouveaux horizons et leurs histoires, comme les IPA (Indian Pale Ale), ou vibrent aux palettes acides des nouvelles Sour beer issues d’une tradition séculaire mais revisitées et adaptées aux envies actuelles.

De nouvelles attentes donc, qui répondent aussi à des comportements d’achat différents : les cavistes hyper spécialisés accueilleraient en effet 12,3% de clients en plus chaque jour selon l’enquête Caviste 2017 et les cavistes « mixtes », qui proposent un segment de bières spéciales dans leur boutique, signalent également des fréquentations quotidiennes moyennes supérieures de 8,3% à celles de leurs collègues.

Production locale ou comment le concept de terroir est en train de se renouveler

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Ces générations assument leurs cultures urbaines mais sont également en quête d’authenticité. Bien que différentes de leurs ainés baby boomers, attachés à une image teintée de nostalgie d’une France rurale et viticole et de terroirs de carte postale, les valeurs que ces jeunes, citadins ou pas, retrouvent dans les bières locales les rapprochent de la matière première et donnent du sens concret à une agriculture devenue très abstraite voire suspecte.

Des bières d’abbaye belges aux lambics d’une âme belge décalée et décomplexée, le boom des micro brasseries atteste de la soif de ces générations de retrouver aussi un moyen de participer à la production. De plus en plus éloignées de racines paysannes, lorsqu’elles n’ont pas la chance d’avoir une famille propriétaire de vignobles, les jeunes urbains férus de nouvelles technologies sont aussi très présents sur la toile.

Ainsi le site Amertume émerge comme une des nouvelle bible en ligne, jouant sur un style lui-même bricolé et artisanal qui participe à l’image d’accessibilité du segment, a contrario de l’excès de cérémonial qui peut entourer une culture du vin qui peine ainsi à casser des préjugés élitistes. Le créneau médiatique dédié au secteur est riche et rayonnant (voir aussi avec Happy Beer Time, ).

Car en parallèle, « la bière, à l’image du vin nature, est perçue comme un produit issu d’une agriculture et d’une production de qualité avec la mise en avant des origines et des ingrédients, la multiplication des productions biologiques, sans alcool, sans gluten » souligne D Van Agt qui confirme l’intégration complète du segment avec les préoccupations de l’époque.

D Van Agt

Selon Dorothée Van Agt, «  la grosse progression des ouvertures de micro brasseries ces trois dernières années crée un intérêt en local et dynamise la filière ». Une multiplication de l’offre qui mathématiquement se retrouvera forcément confrontée à une nouvelle phase de concentration conformément aux lois de l’économie et de la physique en général (l’ordre créé le désordre qui recréé l’ordre). Mais en l’état actuel des choses ce sont cependant 1253 brasseries en activité en France qui sont recensées par le site au 18 janvier 2018.

Alors que les courants de rocks les plus durs deviennent consensuels et que le festival longtemps décrié du Hell Fest fait carton plein sur fond d’ambiance grivoise et bon enfant, le marché des bières  accompagne aussi la montée en âge de ses anciens consommateurs contestataires fans de hard rocks et punk et suit l’embourgeoisement de pans culturels contemporains : festivals, bande dessinée, cinéma, etc…

Un secteur en voie de maturation

Les cavistes participent à l’explosion de cette richesse : avec 103 références en moyenne par cave (*), les deux univers sont entrés en osmose, les cavistes assurant la distribution de nombreuses productions locales.

Mais face à la réorganisation des gros groupes industriels conscients du levier de croissance potentiel, le segment des micro-brasseries est également en voie de la labellisation afin de ne pas voir récupérer ce qui fait l’énergie alternative de cette révolution brassicole tout droit venue des Etats-Unis.

Outre–Atlantique, la Brewers Association a en effet officialisé lié la bière à son producteur afin de sécuriser la dimension artisanale du produit. Une craft beer (bière artisanale) ne peut en effet être qu’une bière brassée par un brasseur appelé craft brewer, un statut proche des micro-brasseries qui essaiment actuellement sur tout le territoire français sauf qu’aux Etats-Unis il est réglementé.

Les trois règles du Craft brewer aux USA

  • De petite taille :

    la brasserie doit avoir une production annuelle inférieure ou égale à 6 millions de barils de bière, soit 700 millions de litres.

  • Indépendante :

    moins de 25% de la brasserie doit être détenue ou contrôlée par une entreprise du secteur des boissons alcoolisées qui n’est pas elle-même craft brewer.

  • Traditionnelle :

    la majorité de l’alcool produit par l’établissement doit être de la bière brassée à partir de matière première traditionnelle. Les boissons maltées aromatisées ne sont pas considérées comme étant de la bière : les arômes ne sont pas tolérés.

(source https://www.maloan.fr/blog/craft-beer)

Cette protection juridique peut étonner au pays de l’économie de marché et de la libre concurrence, mais elle conforte finalement aussi le modèle viticole européen soucieux de protéger la relation au territoire d’origine. En réinventant des règles de droits pour protéger le savoir-faire artisanal, le modèle américain protège un modèle d’entreprise qui replace le local et l’humain au cœur des préoccupations.

Les cavistes, acteurs nécessaires de cette évolution

La création du Syndicat National des Brasseurs Indépendants s’inscrit dans cette lignée, une étape que les cavistes suivent avec attention.

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Confrontés à une problématique de renouvellement des clientèles Vins difficile, le boom des bières est un tremplin formidable pour des cavistes qui peuvent trouver là un champ d’exploration très dynamique et capable de répondre aux envies de découvertes et de prises de risque de consommateurs plutôt cultivés et capables de monter en gamme.
Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater l’ouverture du monde des spiritueux à ces innovations et prêts à y positionner l’image de leurs marques traditionnelles comme la Jameson IPA.

Grâce à des petits conditionnements (25 cl ou 33 cl) et des possibilités de panachages très larges, le segment des bières répond aux actes d’achat impulsifs de clients à l’image de la société actuelle, des consommateurs à la fois collectionneurs et zappeurs, curieux de casser les routines et d’être surpris, pour des consentements à payer qui restent mesurés (prix d’entrée de gamme moyen chez le caviste proche de 2,50 euros).

(*) Retrouvez sur le site professionnel des cavistes les détails de cette étude, offerte aux adhérents et partenaires du Syndicat des Cavistes Professionnels (SCP) JUSQU’AU 31 janvier 2018.