Par Patrick Jourdain, Président du Syndicat des Cavistes Professionnels (SCP)
Samedi dernier, un jeune homme rentre dans mon magasin de Cusset (périphérie de Vichy). C’est la première fois qu’il vient. Sans doute aussi la première fois qu’il pousse la porte d’un caviste. « Bonjour Monsieur, je peux vous aider ? ». « Oui, je voudrais acheter une bouteille pour faire un cadeau ». « Ah très bien, quel budget vous voulez y mettre ? ». « Ah ben justement, je ne sais pas si je pourrais trouver ça chez vous… Et après quelques secondes de malaise : « 20 euros, ce sera assez ? » …
J’avoue, je suis tombé des nues. Je ne pensais pas que le fossé était si loin entre notre réalité et ce qui est imaginé chez ceux que nous ne connaissons pas. C’est tout l’enjeu de la communication : il ne suffit pas d’être, de penser ou de dire … il faut être considéré, entendu, compris.
« Ah mais monsieur vous savez que pour ce budget là je peux même vous trouver 3 jolies bouteilles à offrir donc qu’est-ce que vous préférez ? Un lot de 3 qui feront plaisir ou vraiment une seule bouteille d’une belle cuvée » ?
L’anecdote est représentative de l’époque et ouvre des perspectives formidables pour les cavistes : ENFIN des consommateurs osent venir voir les cavistes alors que jusqu’ici ils cultivaient des préjugés délirants concernant notre positionnement et notre accessibilité !
Cela fait partie des ambitions qui nous réunissaient lorsqu’il y a dix ans, avec Yves Legrand, avec Michel Bourel de Cavavin, Patrice Jerôme des Caves de Régusse, Jean Nouvelle du Savour Club, Dominique Fenouil du Repaire de Bacchus et Franck Pernet pour C10-Comptoir des Vignes, sous l’égide alors de la FNDECB, avec Philippe Pilliot, nous signâmes les statuts du Syndicat des Cavistes Professionnels.
Avec Nathalie Viet, aussi. Qui avait déjà depuis plusieurs années organisé et accompagné nos premiers rapprochements entre cavistes d’univers différents, nous qui ne nous connaissions pas.
Accueillir des nouveaux profils
Le caviste est un Conseil. Son avis compte.
Un avis c’est le message que nous relayons, et que relaient aussi nos nouvelles identités virtuelles dans ce monde passé à l’ère du digital, et qui construit des réputations. Un avis d’expert sert de référence. Et la recherche en cours des bonnes limites à donner aux libertés d’expression pose en parallèle la question des responsabilités et de la valeur qu’on attribue aux avis, aux experts, aux conseils.
Ce qui force donc aussi à repenser le périmètre de ces communications communautaires à partir desquelles doivent rayonner nos magasins.
Guidés par le sens de la responsabilité
En cette période d’incertitudes inquiétantes, se fier à quelqu’un de confiance devient précieux.
Ces nouveaux clients qui viennent dans nos boutiques font partie de ce nouveau monde. Et il nous faut répondre à leurs sensibilités. Et répondre à leur besoin de confiance. Tout en maintenant ce qui fait notre solidité donc ce qu’ils viennent aussi chercher chez nous. NOTRE avis. NOTRE sélection.
Le monde de 2040 survalorisera la capacité de savoir CHOISIR. Et choisir, c’est renoncer. …
C’est le fil conducteur de cette Lettre d’Informations des Cavistes printanière. Donc de transition.
Nous sommes des professionnels responsables. En général. C’est important.
Notre sens de la responsabilité, nous l’exerçons aussi en matière de choix. Et c’est toujours une histoire de goût. C’est ce qu’à son échelle a toujours fait le caviste, comme le souligne Yves Legrand qui se rappelle entre autre la maxime qu’il a gardée de son père (« il ne supportait pas ce qui était faux ») : au-delà du référentiel ou des règles, « quand c’est pas bon c’est pas bon »… Et « comme c’est ce qu’on boit, c’est ce qu’on pense » donc le rôle du caviste maintenant qu’il a acquis la visibilité qu’il lui fallait, c’est bien d’assumer son rôle de passeur de goût, de stimulateur des pensées, de guide vers le monde d’après. C’est Le goût du caviste, la nouvelle chronique d’humeur présidentielle et vinicole de Yves Legrand.
Lorsque Steve Fortel, caviste catalan, visite ses fournisseurs vignerons, il célèbre la chaleur humaine qui fait la valeur de nos commerces. Mais il n’oublie pas ce qui fait son professionnalisme : savoir dire « Non » aussi. Une responsabilité pas facile, comme toute responsabilité, et qui engage, ce que nos contemporains doivent réapprécier à sa juste valeur, celle de ceux qui assument et font avancer. Son témoignage réchauffe le cœur tout en musclant les âmes. Voir L’amour du métier (le Mot du caviste).
La responsabilité, c’est un tout. S’inscrire à un évènement professionnel, notamment dans le contexte qui est celui de la crise sanitaire et qui implique l’organisation de rendez-vous individuels pour répondre aux protocoles sanitaires, et ne pas s’y rendre finalement, ça déstabilise les organisateurs des Salons professionnels déjà très malmenés. Les cavistes qui sont spécialistes de ces faux pas doivent avoir conscience qu’en agissant aussi légèrement ils ternissent la réputation de la profession dans son ensemble. Dommageable alors que les cavistes se positionnent de plus en plus comme des référents fiables aux yeux de leurs clients.
Préparer l’accueil
Ces nouvelles clientèles, qui à l’occasion des différents confinements ont redécouvert leur commerce de proximité et réellement enfin franchi la porte des boutiques cavistes, nous incitent aussi à adapter nos gammes en fonction de demande plus régulières. L’œuf créé la poule qui créé l’œuf. C’est la loi de la vie, toujours en mouvement, rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme et toujours on avance. Et il faut accepter cette évolution. Et si possible l’anticiper pour ne pas subir.
C’est toujours ce qui anime notre démarche syndicale. Et qui continuera.
Maintenant que nous sommes devenus visibles, à grands coups de médias nationaux qui découvrent la pertinence des valeurs de fonds que les cavistes véhiculent et qui font du Bien, les cavistes doivent se préparer à franchir de nouveaux caps.
Nous candidatons aujourd’hui officiellement à la représentativité professionnelle. Si cette étape débouche, il nous faudra être prêts à assumer nos responsabilités au sein des négociations de branche pour exprimer et défendre nos spécificités, en lien avec nos confrères et consœurs des autres métiers de bouche du commerce alimentaire avec lesquels nous partageons des valeurs communes : le goût, le bon produit, la relation directe et humaine.
Et l’une de ces responsabilités consiste justement à pérenniser nos commerces et à les transmettre.
Nous dirigeons des commerces spécialisés. Ils sont animés par des personnes motivées, compétentes, formées. Une évaluation réalisée à partir de l’âge des responsables de nos boutiques évaluent à 30% le nombre de points de vente qui seront confrontés au départ en retraite de leur dirigeant. Notre dossier principal dresse un état des lieux de ce sujet qu’il nous faut aborder frontalement : de quelles formations avons-nous besoin pour préparer les forces vives et rendre notre métier attractif auprès des nouvelles générations ? Et comment y faire face ? Voir notre dossier : Caviste, quelles formations pour un métier d’avenir ?
Certes, les cavistes sont formidablement armés pour répondre aux enjeux de société actuel.
Car ce qu’ils vendent c’est un concentré de valeurs. Et de goûts.
Ces valeurs, ce sont des madeleines intemporelles, elles servent de refuge quand les incertitudes angoissent trop.
Une gorgée de vin, ou de whisky, ou de bières artisanales, ou toute boisson ayant nécessité du temps, des ferments, des substances issues d’un terroir, un savoir-faire et beaucoup d’attentions humaines, est un concentré de Vie.
L’expression d’une spiritualité profondément universelle.
Qui font appel à des sens importants dans ces périodes où l’absence de relations aux autres est particulièrement difficile à vivre dans les logements urbains et rend nécessaire de se reconnecter à la Nature ou à la substantifique moelle du Vivant.
Le goût c’est le Vivant. Le goût du vin c’est la sublimation du vivant.
Et se retrouver privés de ces sens, pour des professionnels du goût, c’est une vraie angoisse.
Décidément, ce coronavirus tape là où ça fait mal.
L’Union des Œnologues de France a réalisé en juillet dernier la première étude auprès des métiers du vin afin d’évaluer l’impact de la maladie pour ces professionnels qui utilisent les sens comme outil de travail. Les premiers résultats ouvrent de nouvelles interrogations. Les cavistes n’étaient alors pas les plus touchés même si le risque angoisse ces passionnés du goût. Voir article : Covid19- agueusie et anosmie pour les professionnels du vin (étude UOF).
Cet édito a été rédigé à quatre mains. Parce que nous changeons en effet d’époque et que le SCP, né il y a dix ans, va maintenant rouler autrement.
Merci à Nathalie Viet d’avoir construit les rails et conçu toute la mécanique qui permet aujourd’hui aux cavistes d’avoir les moyens d’exister en tant que collectif … et à laquelle nous souhaitons le meilleur dans sa nouvelle aventure professionnelle. Nous nous réjouissons de garder le lien pour que nos constructions passées enrichissent ses futures interventions. ….
Bonne lecture de ces informations cavistes et merci à tous de vos participations constructives pour continuer d’avancer.
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