À regarder les chiffres établis par l’Agence bio qui suit l’évolution des productions animales et végétales conduites en agriculture biologique en France, force est de reconnaître l’insolente croissance du bio ces dernières années. Passé l’effet de mode, on se tient bel et bien aujourd’hui dans un segment de marché pérenne et a fortiori en croissance.
Pourtant à y regarder de plus près, on commence à voir depuis deux ans les prémices d’une baisse des ventes que l’on doit, non pas à une volte-face des vignerons, mais à un effet bien réel du changement climatique et à l’émergence de maladies plus difficile à contenir en bio.
Et des signaux faibles commencent à pousser la porte des cavistes qui constatent effectivement une tension sur les volumes de certaines appellations et s’inquiètent déjà des prix à venir.
Le vignoble bio français a plus que triplé en 8 ans
En 2015, selon les chiffres de la viticulture bio consolidés par l’Agence Bio, la France compte en effet 4799 exploitations viticoles en bio (+2% par rapport à 2014) pour un total de 57 054 ha certifiés de raisins de cuve (+5%) et 10 877 ha en cours de conversion (-5%) dont plus du tiers en première année de conversion.
En parallèle, de 2014 à 2015, les achats de vins bio ont progressé de 17% en valeur. Le principal circuit reste la vente directe (41% en valeur en 2015).
Au total, la viticulture biologique représente désormais 8,7% des surfaces viticoles françaises et plus de 1,5 million hl de vin bio ont été mis en marché en 2015, dont 54% commercialisés en France. 41% de la valeur a été réalisée en vente directe, devant les magasins spécialisés bio, les cavistes et la GD.
Une tendance a priori haussière…. Et pourtant, il faut savoir lire entre les lignes : la vigne, comme toutes les cultures végétales, a reçu cette dernière décennie en moyenne moins d’heures de froid et a globalement subi une augmentation des températures moyennes favorables au développement des insectes.
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Par ailleurs, le cumul des précipitations est plus important depuis 2009, un critère également en faveur du développement des maladies fongiques, avec des périodes plus marquées de conditions extrêmes (succession de pluies orageuses alternant avec des périodes de sécheresse plus intense).
Ainsi, en 2015, des attaques particulièrement importantes de black-rot ont sévi en France, obligeant certains vignerons bio à intervenir chimiquement (il n’y a pas de produits autorisés en bio) sous peine de perdre l’intégralité de leur production. La sanction est nette dans ce cas d’intervention : perte du label bio et nécessité de repartir à nouveau dans trois années de conversion pour retrouver le saint-graal.
Autre maladie impactant le vignoble, la flavescence dorée, une maladie à phytoplasme transmis par une cicadelle qui entraîne des pertes de récoltes et la mort du cep. Cette maladie fait l’objet d’un arrêté national de lutte obligatoire.
Pour les vignerons bio, une solution de lutte existe à base de pyrèthre naturel, mais son efficacité est remise en cause et ne les satisfait pas complètement. D’autant plus que face à la volatilité du vecteur, cette lutte doit être généralisée, ce qui n’est pas toujours le cas (vignes à l’abandon, absence de prospection…). Résultat, la maladie continue de se développer.
Baisse de disponibilités en volume.
En conséquence, certains bassins commencent à noter des baisses de disponibilités en volume, sans parler des importants aléas climatiques de 2016 (gel, grêle, pluie) qui ont particulièrement impacté les vignerons de la Loire et de Bourgogne. Cette baisse pourrait certes être compensée par une partie des volumes actuellement en conversion et non comptabilisés. Mais là aussi, la dynamique de la conversion tend à ralentir dans plusieurs bassins :
-9% de conversion dans le Grand Est, -7% en Nouvelle-Aquitaine, -1% en Auvergne-Rhône Alpes et en Bourgogne-Franche Comté, -19% en région Centre Val de Loire, -8% en Pays de la Loire, -9% en Paca. Seule la Corse fait mieux en 2015 par rapport à 2014 avec 45% de surface en conversion en plus (182 ha en conversion, 555 ha certifiés, soit 11% de la SAU viticole). Et l’Occitanie voit ses surfaces en conversion se stabiliser, avec cependant une forte décrue en Midi-Pyrénées (-29%) mais une augmentation en Languedoc-Roussillon (+3%).
Cette tendance à la déconversion ne se traduit pas encore dans les données de l’Agence bio qui n’a pas encore diffusé les chiffres 2016 permettant, ou non, d’infirmer ce ralentissement constaté en vallée du Rhône. Mais les signaux faibles sont bel et bien là…
Travailler de nouvelles régions
« Pour l’instant, je n’ai pas ressenti trop d’inquiétudes sur cette question de la disponibilité, mais il est vrai que je suis encore récent dans le métier, avec 3 ans d’ancienneté », note Éric Esnault, caviste en Isère qui poursuit : « On est dans une gestion classique des millésimes, avec les aléas de production inhérents à une production agricole. Et je n’ai pas eu de retour particulier de vignerons certifiés devant tout recommencer à zéro pour avoir été dans l’obligation de traiter. Par contre, oui, certains m’ont averti de baisse de volumes et d’allocation. Après c’est un argument de vente aussi que d’expliquer ce qui se passe sur le terrain. Ma clientèle accepte cela, car elle a compris que lorsque l’on est sur un produit bio authentique, ça fait partie du deal et que certains millésimes sont plus compliqués que d’autres. »
Pas d’inquiétude particulière donc pour Éric Esnault, mais une pointe perceptible chez Michaël Nauleau, caviste en Mayenne.
« Je pense que cela va poser quelques problèmes car certains vignerons n’ont plus les volumes, notamment en Bourgogne ou dans la Loire. Evidemment, on fera avec ce que l’on aura… mais cela veut dire aussi qu’il faudra trouver de nouveaux vignerons pour répondre à cette demande de vin bio croissante.
Par contre, là où je suis inquiet, c’est sur les BIBs : il va me falloir aller trouver ailleurs, notamment en Languedoc, dans le Rhône et le Sud-Ouest car certains de mes fournisseurs arrêtent faute de production. En bouteille, c’est un peu moins criant. Le millésime 2015 permettra de compenser un peu, mais pour 2016, cela sera plus compliqué car il faut suffisamment de trésorerie pour acheter des vins dont on sait que le prix va augmenter.
La bonne nouvelle, c’est peut-être pour Bordeaux, moins impacté en 2016 et qui travaille un peu sur le bio désormais. Ça sera sans doute une des nouveautés de l’année dans ma cave, même si on part de loin dans cette région. Après, je me fais une raison pour la Bourgogne ou la Loire : des vignerons emblématiques en bio ont été très touchés, vignerons sur lesquels on n’avait déjà pas beaucoup d’allocations et qui risquent d’être encore plus contingentés. Alors cette année, on n’espère pas grand-chose ! »
Pour Danielle Beaussier, caviste en Loire-Atlantique, c’est une information qui vient d’émerger. « Je n’avais pas eu de souci jusqu’à présent, mais cette année je risque d’avoir quelques difficultés d’approvisionnement en Languedoc, et notamment en Minervois, pour mes Bibs. Je pense que je n’aurai pas tout ce qu’il me faut pour l’année. Est-ce parce que les volumes, moins importants, auront été transférés en bouteilles ou pas, je n’ai pas l’explication. Mais je m’attends à avoir cette année quelques difficultés d’approvisionnement.
Pour les autres régions, c’est moins flagrant chez moi. C’est vrai qu’en Bourgogne, il y a pénurie annoncée, mais ce n’est pas trop développé dans ma cave. Et en Loire, l’offre bio est relativement importante donc a priori, ce n’est pas encore un problème. À voir dans les années à venir. »
La relation client fournisseur à l’épreuve du feu
Cet approvisionnement du millésime 2016 annoncé comme tendu aura au moins un mérité pour Bruno Quenioux, de Philovino : « On verra quelle relation lie vraiment le caviste et le restaurateur avec ses fournisseurs. On verra si ces derniers privilégient leur relation client de longue date. Et sans doute aussi que les cavistes opportunistes, ou pire, les cavistes qui démarrent, risquent d’avoir du mal avec des allocations supprimées ».
Mais comme ses collègues auparavant, il reconnaît la nécessité d’élargir la gamme proposée en cave. « On va sans doute avoir des produits plus saisonniers, présents 2-3 mois, puis en rupture de stock faute de volumes. Il faudra donc avoir d’autre chose à proposer, notamment sur la Bourgogne ou la Loire, très touchées comme à Saint-Nicolas de Bourgueil, en bio ou pas d’ailleurs. En Bourgogne, cela commence à être récurrent, car cela fait suite à 4-5 années déjà compliquées. Cela va nous obliger à nous tourner vers de nouveaux vignerons bio, ce qui sous-entend une bonne connaissance du terrain et de l’offre. Il faudra avoir suffisamment de relationnel pour élargir la gamme. » Heureusement souligne-t-il, faisant écho à Éric Esnault, « la plupart des clients sont conscients de la problématiques des aléas climatiques ».
La problématique ? Elle est d’abord sur les prix
La Bourgogne et la Loire et même la Champagne préoccupent beaucoup Sylvain Meyer, caviste dans les Landes, même si la problématique semble plus prégnante pour la Bourgogne que pour la Loire, « où l’on arrive encore à trouver de nouveaux vignerons bio ». Pour le caviste, l’année 2016 va avoir un impact « sensible » sur l’augmentation des prix.
« En Bourgogne, on nous annonce déjà entre +10 et +30%. Chez certains vignerons bourguignons, on a des allocations sur 12 bouteilles… ça devient de l’épicerie ! Quant à Chablis, déjà qu’il n’y avait pas beaucoup de d’offre, là ça devient très compliqué car il n’y a pas de volume ! Certains vignerons ont même dû traiter, ce qui veut dire qu’ils repartent pour 3 ans de certification. Si on a du stock, ça va, mais sinon… »
Mais pour le caviste landais, la problématique est différente entre la Loire et la Bourgogne : « Pour nous, ça commence vraiment à devenir compliqué ces augmentations à répétition que l’on a sur les vins bourguignons… Je ne suis pas sûr que les clients suivent après déjà plusieurs années de hausse. J’ai des clients qui décrochent et se détournent vers le Languedoc, qui a vraiment le vent en poupe chez moi, le Sud-Ouest, pas trop impacté en 2016 par le climat, et même l’Alsace. J’avais déjà prévu d’élargir mon cercle de vignerons et forcément, je vais renforcer cette voie-là. Mais pour moi, la vraie problématique, avant d’être sur les volumes, est sur les prix. Car trouver des Champagne bio à moins de 30 €, ou des Loire rouge bio à moins de 10 €, ça devient un vrai parcours du combattant. En province, le cœur de marché est sur une tranche de 20 à 30 € la bouteille, et des bio dans cette tranche, ça se réduit à peau de chagrin. La Bourgogne devient à mes yeux de plus en plus réservée à une élite et d’ailleurs, certains vignerons ne veulent même plus travailler sur la France et se concentrent sur l’export. Les Français n’ont plus les moyens… », conclut Sylvain Meyer.
L’agroforesterie comme planche de salut ?
Mais pour Bruno Quenioux, de Philovino, ce millésime 2016 marque d’abord un tournant pour la viticulture biologique et biodynamique : « La question doit être posée, car on voit bien que même la biodynamie ne suffit pas dans des années dramatiques comme 2016.
À mes yeux, cela veut dire que les vignerons doivent remettre en cause la conduite complète de la vigne. Avec le développement de la viticulture industrielle et du soutien chimique, on a arraché des plants communs (hybrides, ndlr) pour mettre des plants fins et l’on a dans le même temps perdu beaucoup en termes de connaissance du sol. L’oxydation galopante du sol ces dernières décennies a des conséquences gravissimes et l’on a cru que l’enherbement solutionnerait tout. Mais l’herbe a accentué la problématique des sols gelés en 2016. Je crois davantage en l’agroforesterie qui va vers un système de production beaucoup plus systémique, avec des vignes, des fruitiers, des animaux… au sein de la même parcelle. C’est la conception même de la viticulture qui est rebootée. On est à un tournant car ce type de vignoble est beaucoup plus couteux à produire. Et cela concernera des vignobles où le foncier reste accessible pour les vignerons. En tant qu’acheteur, on risque d’avoir de la peine à trouver des vins bio compétitifs. Mais en même temps, un champ s’ouvre avec de multiples opportunités pour la nouvelle génération de vignerons qui prend la main. »
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