Syndicat des Cavistes Professionnels

Des clientèles en chantier : les atouts des cavistes

soireesNous entamons dans cet article une réflexion générale sur l’adaptation des points de vente et des approches marchandes des cavistes aux évolutions des comportements de consommation (et d’achats) des acheteurs des vins et boissons alcoolisées.

Cette remise en question est nécessaire car les consommateurs, devenus consommateurs occasionnels, voire exceptionnels pour la plupart des nouveaux adultes de la génération Y, sont de moins en moins connaisseurs des produits qu’ils achètent.
Les comportements des clientèles changent ainsi que leurs questionnements ; on assiste notamment à un glissement important de la relation des consommateurs avec le produit-symbolique du caviste, c’est-à-dire le vin.

Quelles sont ces évolutions ?

Des études et des recherches récentes en économie, sociologie et marketing les analysent et ouvrent des pistes pour y répondre.


De 1980 à 2015, la consommation générale de vin en France est passée de 50 millions d’hectolitres à moins de 30 millions. Cette chute correspond à la dégringolade des consommateurs réguliers au sein des consommateurs de vins (51% en 1980 contre 13% en 2015) au profit de la part des non-consommateurs (19% en 1980 contre 43% en 2015) et des consommateurs occasionnels (de 30% à 43%), illustrant ainsi le changement du statut du vin, d’une boisson « aliment » à une boisson « plaisir »… à condition que plaisir il y ait !

Profils et attentes des clientèles des cavistes

Selon une étude commandée par le caviste parisien Lavinia en 2012, 8 Français sur 10 avaient consommé du vin ou du champagne (18 ans et +) au cours des 12 derniers mois (étude IPSOS, Qui sont les amateurs de vin ? Profil & habitudes, sur 1000 individus âgés de 18 ans et plus). En moyenne, ils en consomment 2,8 fois par semaine et 65% en consomment au moins 1 fois par semaine.

Au cours de la même période, seuls 4 Français sur 10 avaient acheté du vin ou du Champagne.

16% de ces acheteurs seraient clients des cavistes (61% en GMS et 18% s’approvisionnent auprès des producteurs).

Ces clients sont en plus particulièrement fidèles puisque, selon les cavistes eux-mêmes interrogés dans le cadre des études EQUONOXE pour le compte du Syndicat des Cavistes professionnels, 7 sur 10 visitent « leur » caviste au moins 1 fois par mois.
Et ces visites débouchent sur un achat dans 93,8% des cas, (source Equonoxe, Baromètre d’activité des cavistes de septembre 2016).

Une surreprésentation, donc, chez les cavistes, des acheteurs réguliers voire fréquents puisque selon l’étude IPSOS réalisée pour Lavinia, la fréquence d’achat de vin et Champagne des 4 français sur 10 qui achètent vin ou Champagne est de  1,7 fois par mois en moyenne (0,5 fois par mois pour offrir).

La sécurité, ou la confiance, vécue patps prsence en magr ces clients de cavistes lors de l’achat explique le temps relativement court passé dans la boutique puisque presqu’un tiers de ces visites durent moins de 5 minutes et quasiment les trois quarts durent moins de 10 minutes.
Le temps passé est donc assez réduit, pour un achat pourtant jugé complexe la plupart du temps : c’est ce qui atteste de la pertinence des cavistes, qui fidélisent leurs clients et ils doivent continuer à cultiver ce qui fait leur différence.

L’achat de vin reste perçu comme une prise de risque

Selon l’étude de Lavinia, les amateurs de vin et les consommateurs de manière plus générale restent attachés à l’achat en magasin et ce malgré le développement du commerce de vin en ligne. En effet, seulement 5% des acheteurs de vins disaient avoir acheté en ligne au cours des 12 derniers mois (et seulement 10% des acheteurs considérés comme amateurs).

60% des non-acheteurs en ligne justifiaient leur résistance par le fait qu’ils préfèrent faire leur choix sur place et avoir un contact avec un vendeur pour être conseillés.
Cette réalité illustre à quel point le processus d’achat de vin reste souvent considéré comme une situation complexe perçue par le consommateur comme présentant un haut degré de risque du fait de la multitude de références auxquelles le consommateur est confronté (marques, couleurs, appellations, millésimes, conditionnement…). Un constat démontré également sur le plan expérimental par Lacey and Bruwer (Risk perceiption for buying wine in restaurant, 2009).

29% des acheteurs considèrent même cette activité comme compliquée et déplaisante (source Etude IPSOS pour Lavinia).

Selon un article écrit par J Bruwer, F Miranda,  Saliba Anthony (Perceived risk, risk-reduction strategies (RRS) and consumption occasions, 2013 ), le risque perçu (« perceived risk ») revêt 4 dimensions :
•    fonctionnel (goût)
•    social (famille et amis)
•    financier (prix)
•    physique (« gueule de bois »)

Pour pallier à ces risques, les consommateurs de vins vont mettre en œuvre ce que les sciences économiques qualifient de « stratégies de réduction de risque » (« Risk-Reduction Strategy ») :

  • rechercher de l’information ;
  • rester fidèles à la marque/référence ;
  • s’appuyer sur l’image (réputation) du magasin ;
  • privilégier les marques connues (notoriété) ;
  • baliser leur référentiel de confiance en fonction du prix ;
  • rechercher le réconfort.

La relation physique, directe et de qualité, une solution pour résoudre l’angoisse de l’hyperchoix

bien acheter une bouteille de vinDans un article publié en 2014, le chercheur Douglas Zucker met en doute l’existence de cette angoisse paralysante, résumée par « un effet d’hyper-choix », dans l’achat de vin alors que cet effet s’applique à la plupart des offres de biens et services (étude menée auprès de 4000 clients d’une chaîne de cavistes américaine, Drowning in the wine lake : does choice overload choices in wine retail).

Les stratégies développées par la plupart des détaillants de vins tendent en effet à atténuer voire à faire disparaître l’insatisfaction du consommateur provoquée par cet hyper-choix : segmentation de l’offre en catégories facilement identifiables, création d’un sentiment général de confort dans le point de vente, accompagnement du client dans son processus de choix, des réponses et renseignements appropriés et explicites à ses requêtes.

D’autres études confirment l’impact positif de ces accompagnements individualisés et de la mise à disposition maximale d’informations.

C’est aussi ce que mettait déjà en avant Larry Lockshin dans un article de 1998, lorsqu’il évoquait les aspects « tangibles » et « intangibles » du point de vente et leurs impacts sur la perception du consommateur. Selon ses recherches, les consommateurs évaluent un magasin de vin d’abord en fonction de la gentillesse et la disponibilité de l’équipe de vendeurs, de son merchandising (rangement des bouteilles) et des prix (Consumer evaluation of retail wine store, 1998).

Une autre étude menée cette fois par Bruwer, Lacey et Li en 2009 (The role of perceived risk in winepurchase decisions in restaurants, 2009) démontre la primauté, en termes de stratégies pour le consommateur qui cherche à résoudre le risque qu’il éprouve face à un processus d’achat de vin en restauration, de la recherche d’informations : réputation des restaurants, formation efficace du personnel en matière de vin, programmes de fidélisation qui favorisent la fréquentation des lieux de vente et influencent positivement les choix de vin par les clients en réduisant leur anxiété et le niveau de risque perçu.

Le caviste doit répondre aux stratégies des consommateurs soumis au risque

Pour acquérir ce produit jugé complexe, les consommateurs adoptent donc des stratégies permettant de réduire le risque lors de l’achat.

Cette notion de risque est accrue lorsque l’achat de vin est destiné à une occasion de consommation particulière, quand on achète un vin POUR un évènement défini. Dans ce cas, les besoins de réassurance du client impliquent davantage de temps et de choix lors de l’achat. C’est le fond de commerce des cavistes et des conseils demandés en termes d’accord mets-vins qu’en attende la plupart de leurs clients qui, recevant une réponse rassurante en peu de temps, sont enclins à renouveler l’expérience lorsque l’occasion se représente.

D’où, par contre, la méfiance accrue de l’acheteur non expert quant au commerce en ligne.

40% des acheteurs de vins savent déjà ce qu’ils vont acheter, selon l’étude IPSOS. Pour ceux-là, le caviste se doit de proposer une gamme suffisamment riche pour y répondre.

Pour les autres, le rôle du caviste est donc d’aller à la rencontre du client qui a besoin des connaissances du caviste pour se rassurer lorsqu’il achète, une notion de risque qui n’est pas aussi présente pour d’autres biens de consommations et que la présence du vendeur physique atténue dès lors qu’il met en œuvre les bonnes réponses.

Les vrais amateurs peuvent se permettre d’échapper à l’angoisse de l’hyperchoix

Le fait d’acheter un vin sans occasion particulière détend donc cette angoisse.

Selon l’étude Lavinia, 39% des acheteurs vraiment amateurs de vins en consomment sans aucune raison spéciale (contre seulement 23% des acheteurs). Les achats « spontanés » de vins s’inscrivent donc dans une attitude plus décomplexée, des actes d’achat vécus comme des plaisirs en tant que tels, une expérience…

dégsuter un vin cavisteSelon l’étude IPSOS Lavinia, les consommateurs qui se disent Amateurs de vins ont un consentement à payer supérieur aux autres acheteurs. Pour 57% de ces acheteurs, l’achat du vin est avant tout un plaisir et les critères jugés les plus importants lors du choix du lieu d’achat sont d’abord la qualification des vendeurs spécialisés, devant la pertinence effective des conseils prodigués et la présence effective d’un sommelier.
La présence de médailles est aussi considérée comme importante, devant le facteur prix.

En termes de chalandise, c’est le nombre important de bons vignerons dans l’offre qui fait l’attractivité pour ces acheteurs-consommateurs, un critère qui vient devant la taille de la gamme.

Les acheteurs amateurs se comportent donc différemment de la majorité des acheteurs de vins et attendent autre chose du lieu où ils achètent du vin.

Selon cette même étude, ils sont aussi particulièrement sensibles au fait de pouvoir déguster les vins qu’ils vont acheter, un critère de sélection dont doivent tenir compte les cavistes, et prévoir d’ouvrir cette possibilité à ces clientèles spécifiques.

Parce qu’elles s’y connaissent, ces clientèles d’amateurs (connaisseurs) peuvent se permettre des exigences dans la sélection. Ils peuvent même, pour les plus ouverts, jouer le risque dans ce qu’il peut avoir de plaisant, c’est-à-dire dans le plaisir de la découverte, sans pour autant craindre les conséquences de choix.

C’est la tendance sur laquelle surfent les bars à vins et les cavistes qui mettent en avant des vins aux goûts et approches en rupture avec les vins conventionnels, type vins nature etc. Ces vins aux goûts hors normes rayonnent de l’expérience qu’ils proposent à ces clientèles curieuses, ouvertes mais néanmoins composées de connaisseurs(euses) qui apprécient dans ces produits qu’ils expriment aussi  des considérations environnementales et éthiques.

Or, cette approche objective et potentiellement avant-gardiste des produits coïncide avec celle qui motive les nouvelles générations Y.

Ce qui fait la dimension statutaire du vin c’est que, selon le niveau de connaissances qu’en ont ces consommateurs, ils vont donc adopter des comportements complètement différents voire contraires, une posture qui rejaillit sur le prestige social attaché jusque-là à cette culture… ou pas.

Une évolution générationnelle de la relation au vin

La question des évolutions à prendre en compte pour les cavistes va dépendre de plus en plus du renouvellement des générations d’acheteurs et de consommateurs.
Le positionnement des bières et des spiritueux à larges gammes (whisky, rhums…) pourra faire l’objet d’analyses parallèles.

La clientèle des cavistes est composée pour 58% de clientèle entre 35 et 60 ans tandis que 21% ont moins de 35 ans (source EQUONOXE).

Dans un article publié dans Décisions Marketing n°79 de Juillet-Septembre 2015, Thierry Lorey et Jeanne Albouy se saisissent de l’étude récente sur la génération Y et son rapport au vin publié par IPSOS pour Vin & Société (Perspective générationnelle de la consommation de vin en France : une opportunité pour la segmentation) pour proposer des préconisations en termes d’attitudes face au client.
Ils adaptent aux consommateurs de vins une grille d’analyse basée sur l’appartenance de leur échantillon à des « générations d’appartenance », selon des critères sociologiques définis par Howe et Strauss (2007) :
« Chaque génération est définie par un comportement fondamental de long terme. Celui-ci est façonné par des évènements historiques durant la phase d’entrée dans la vie adulte (second cycle) ».
Cette approche générationnelle permet aussi d’intégrer à l’analyse les non-consommateurs, c’est-à-dire 43% des français en 2015.

A partir de ces outils et de l’interrogation comparée d’un échantillon de 166 personnes résidantes en France et représentatives des 4 générations définies (se référer à l’article pour davantage de détails), les chercheurs constatent un glissement de la relation historique et identitaire du produit.

La génération ‘Héritage’ rassemble les personnes ayant connu au moins une des deux guerres mondiales : ils sont « nés avec le vin » (rappelons que le vin était servi dans les cantines scolaires jusqu’au milieu des années 1960) qui fait partie du fondement de leur identité de français, pleinement intégré à son alimentation.

La génération ‘Baby-boom’ introduit la notion de consommation occasionnelle et conscientise, voire intellectualise, sa relation au vin qu’elle associe davantage à sa dimension patriotique ; elle lui confère aussi une dimension statutaire qui impacte le choix du vin : il devient un signal du positionnement social de celui qui l’offre à ses convives et associé à la gastronomie.

Pour la génération ‘X’, la consommation se fait de façon encore plus occasionnelle et festive, cette dernière dimension ayant pour effet d’atténuer l’angoisse face à la complexité du choix et au risque d’erreur, ce qui facilite des consommations moins ritualisées.

La génération ‘Y’ marque une rupture nette avec les générations précédentes dans la mesure où sa découverte du vin est retardée en termes de cycle de vie, une distance avec le produit qu’elle assume totalement et qui accentue le fait que sa consommation puisse devenir quasi exceptionnelle.

Cette distance la décomplexe par rapport aux critères culturels que les générations précédentes se devaient de connaitre. Son corollaire ? Elle place le vin sur le même plan que les autres boissons qu’elle consomme et elle en attend, voire exige, une efficacité immédiate sous peine de zapper : un plaisir facile, des critères de choix disponibles immédiatement. Composée essentiellement de consommateurs occasionnels et de non consommateurs, cette nouvelle génération rejette la culture élitiste et sophistiquée du vin en France qu’elle refuse même d’apprendre et de transmettre, et revient à une approche purement objective du produit ‘vin’… au risque de la limiter à son seul aspect sanitaire du fait des messages qu’elle reçoit de la part des autorités de santé.

C’est donc toute la valeur symbolique du produit (et sa relation à l’image du père) qui a volé en éclat chez la génération ‘Y’ qui « affirme son incompréhension de l’offre de vins ».

Par contre, cette nouvelle génération, parce qu’elle est dégagée de cette crainte statutaire d’une éventuelle erreur lors de l’achat de vin, peut être prête à davantage de prise de risque… pour peu qu’on lui offre des occasions de découvrir.

Abreuvée de moteurs de recherche et de réseaux sociaux, c’est aussi une clientèle qui pourrait trouver du plaisir à jouer à fond cette démarche d’auto-apprentissage par internet.

Préparer la formation des nouvelles générations

L’enjeu est majeur pour les cavistes de trouver comment parler à ces nouvelles générations pourtant rétives au prime abord, et de leur faire découvrir leur univers.

La progression des gammes de bières chez les cavistes, un segment qui se développe grâce à des positionnements d’artisans, de circuits courts et des images d’authenticité, répond en partie aux aspirations de ces générations ‘Y’. Mais la dimension universelle du vin peut aussi tout à fait parler aux ondes bruissantes et libertaires de ces populations férues de relations sociales et numériques multiculturelles et éphémères.

Comment faire découvrir à cette génération ‘Y’ l’étendue du champ exploratoire … et susciter son intérêt à la découverte ? En allant la chercher …

43% des acheteurs consommateurs interrogés dans le cadre de l’étude Lavinia de 2012 considèrent qu’il est nécessaire d’être connaisseur pour apprécier le vin. Une statistique confirmée par l’étude réalisée par Richard Sagala en 2013 sur des étudiants de Montréal (The impact of general public wine education courses on consumer perception, 2013) qui démontre l’impact positif sur un groupe d’étudiants de cours d’éducation au vin.

Ces derniers ont déclaré à l’issue de ces cours mieux connaître leurs préférences gustatives et avoir davantage confiance en leurs capacités gustatives. Ils étaient également intéressés à poursuivre leur formation pour à en apprendre davantage.

Les perceptions, le comportement et l’engagement vis-à-vis du vin de ces jeunes adultes ont été modifiés par le fait même d’avoir suivi un cours, à l’initiative d’un caviste, qui témoigne d’une majorité d’étudiants désireuse d’acheter davantage de cours et de les recommander à leurs pairs. 90% des participants ont déclaré avoir changé leur comportement en tant que consommateur de vin.

La majorité de ces étudiants déclare en outre augmenter leur budget mensuel d’achat de vin de 16%.

Conclusion : quelles orientations pour les cavistes ?

Pour finir, un dernier enseignement issu de l’étude IPSOS/Lavinia : idéalement, 4 acheteurs de vin sur 10 passeraient par la vente directe auprès d’un domaine contre seulement 1 acheteur sur 4 qui acheterait chez les cavistes et les supermarchés.

Cette statistique souligne l’enjeu pour les cavistes de faire comprendre à leurs clientèles qu’ils appartiennent à ce tissu productif composés d’artisans, qu’ils adhèrent à cette culture du produit, afin de se démarquer de la dimension purement marchande et mercantile des rayons sous néons de leur principaux concurrents.

Les cavistes doivent réussir ce travail sur l’image tout en préparant le renouvellement des générations d’acheteurs traditionnels.

Cela implique qu’ils apportent des réponses adaptées aux besoins des différentes clientèles auxquelles ils sont confrontés donc qu’ils ciblent leurs besoins à savoir :

  • Apporter aux consommateurs les plus connaisseurs des gammes riches : des vignerons réputés, des dégustations…
  • Sécuriser et accompagner les consommateurs angoissés par l’acte d’achat : gentillesse de l’accueil, qualification des vendeurs, disponibilités, organisation claire des gammes en magasins…
  • Intéresser les plus jeunes : entrer en contact que ce soit dans le cadre de leurs parcours de formation ou dans leurs sphères de communication (lycee, université, cours de dégustation, formations au vin dédiées, réseaux sociaux, concevoir des sites informatifs et efficaces… ). Replacer le vin solidement dans sa modernité : naturalité, authenticité et exploration (voyages, découvertes, civilisations…)