Les conséquences de la réforme de l’état pour les cavistes

Faire avancer la cause des Cavistes à l’intérieur du système

De par ses statuts, le champ d’intervention du Syndicat des Cavistes professionnels (S.C.P) va au-delà de ce que permet la simple forme associative (Loi 1901). En effet, parce qu’il se réfère à la loi du 21 mars 1884, le SCP a pouvoir de Syndicat patronal.

Le SCP porte donc la parole et les intérêts des cavistes au sein des instances sociales qui structurent les relations paritaires dans le système français au sein de branches professionnelles.

Actuellement, les intérêts des cavistes relevant de la codification 4725Z sur le plan des sujets sociaux sont portés par la fédération nationale de l’Epicerie, rebaptisée depuis 2015 Fédération Nationale de l’Epicerie, des Cavistes et Commerces Bio (FNDECB).

Au sein de la FNDECB, les cavistes sont donc associés déjà à d’autres types de commerces (epiciers et commeces bio). Le Syndicat des Cavistes professionnels est lui-même adhérent de la FNDECB. Il intervient à ce titre dans les discussions et commissions destinées à négocier les conventions et accords.

La FNDECB a demandé en 2016 au SCP d’occuper une vice-présidence.

L’Histoire : la loi de 1884, dite Loi Waldek Rousseau.
C’est la loi qui reconnaissait et autorisait pour la première fois en France le droit à des personnes « exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l’établissement de produits déterminés » de se constituer en syndicat, sans autorisation gouvernementale, ce syndicat devant avoir « pour objet exclusif l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles ». Ce droit fut étendu aux femmes et travailleurs de plus de 16 ans le 12 mars 1920.

De la famille professionnelle à la branche

La FNDECB siège elle-même avec d’autres fédérations patronales, en l’occurrence les fédérations représentants d’une part les fruitiers et d’autre part les crémiers-fromagers, au sein de l’Association des Fédérations en Fruits et Légumes, Epicerie, Crémerie (AFFLEC) qui est une Organisation Professionnelle.

Toutes professions confondues, cette branche professionnelle de l’alimentation de détail, en charge de la convention collective 3244, représentent 57 700 entreprises et 135 000 actifs (salariés et non salariés).

 

Caviste, un métier d’intermédiaires spécialisés

60% des cavistes sont immatriculés en tant que Commerce de détail de boissons en magasin spécialisé (4725Z) et sont ainsi rattachés à la branche du Commerce de détail. C’est également le cas des éventuels salariés des cavistes Nicolas, ces derniers étant par contre rattachés à la convention collective des Gérants mandataires, très particulière.

26% des cavistes sont immatriculés en tant que  Commerce de gros (commerce interentreprises) de boissons (4634Z), qui prend en compte les réalités d’opérateurs ayant développé une activité de Négoce de gros.

Les autres cavistes sont rattachés à des conventions collectives plus anecdotiques selon les activités complémentaires du chef d’entreprise (restauration, etc…)

Le fait qu’il puisse y avoir plusieurs conventions collectives est symptomatique de la position particulière des cavistes vis-à-vis de leurs filières.

Par rapport à la situation de leurs confrères(sœurs) commerçants, le cas des cavistes est compliqué par 1/ la structure institutionnelle spécifique à la viticulture (branche spécifique de l’agriculture) en France et 2/ l’évolution des métiers du commerce depuis le milieu du XXème siècle.

Les cavistes relevant du codage 4634Z
dépendent de la convention collective 3029, celle des Vins, cidres, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France. L’organisation professionnelle qui gère cette convention est le Conseil national des Industries et Commerces en Gros des Vins, Cidres, Spiritueux, Sirops, Jus de fruits et Boissons diverses (CNVS). Cette branche rassemble plus de 3000 entreprises, 45 000 salariés et un chiffre d’affaires de 31 milliards d’euros H.T. en 2013.

Les principales fédérations professionnelles qui adhèrent à cette organisation sont l’UMVIN (Union des Maisons et Marques des Vins) et la Fédération Française des Spiritueux (FFS). Hormis certains réseaux de cavistes, peu de cavistes sont dans les faits réellement adhérents de ces fédérations qui cependant sont supposés porter leurs intérêts.

L’importance des entreprises de cavistes-grossistes (4634Z) illustre la proximité des cavistes avec la filière institutionnelle viticole. En effet, cette catégorie d’opérateurs englobe également l’activité principale des négociants rattachés aux régions de productions viticoles, conformément à l’histoire institutionnelle du vignoble français : pour rappel, le modèle d’appellations d’origine « à la française » repose sur des communautés d’opérateurs locaux, réunis au sein d’interprofessions régionales : les vignerons (et coopératives) d’une part, dont l’activité principale historique est de PRODUIRE et VENDRE la matière première (le raisin et/ou le jus), et les négociants, dont l’activité historique traditionnelle est D’ACHETER cette matière première, et selon les régions de la vinifier-assembler-faire vieillir et de la COMMERCIALISER.

Rappel sur les branches et les organisations professionnelles
Selon la définition la plus courante (Wikipédia) les branches professionnelles « regroupent les entreprises d’un même secteur d’activité et relevant d’un accord ou d’une convention collective et on la reconnait en utilisant le critère du secteur d’activité ».

« Historiquement, la branche s’est constituée pour servir d’espace de dialogue entre employeurs et représentants des salariés. À l’époque où les partenaires sociaux s’entendaient pour considérer l’entreprise comme un lieu de conflictualité, la branche s’est même imposée comme un lieu privilégié de concertation et de négociation. Dans la pratique, les branches négocient des conventions collectives ou des accords de branche. Les conventions portent sur les clauses substantielles du contrat de travail (rémunération, durée du travail), alors que les accords portent sur les autres sujets. »

Le dialogue s’organise de façon paritaire : tous les « petits » syndicats du secteur se réunissent au sein de différentes fédérations agissant comme des strates supposées rassembler des familles homogènes de professions. Ces rassemblements « inter-professions » doivent permettre de concevoir et défendre des positions communes entre ces familles. Elles (ou plutôt leurs représentants, permanents ou représentants syndicaux)peuvent alors présenter et négocier ces positions  lors de Commissions sociales paritaires avec les représentations parallèles des salariés de ces différentes familles, ces représentations de salarié(e )s étant elles-mêmes structurées selon les branches professionnelles en fédérations syndicales.

Ce maelstrom administratif est en plus compliqué par la coexistence chez les représentations patronales comme chez les représentations de salarié(s) de syndicats parfois eux-mêmes concurrents qui portent donc des voix désunies au sein de ces commissions paritaires.

Tous ce système repose sur des modes de financement par prélèvements obligatoires sur les salaires  répartis entre employeurs et salariés et quelques fois uniquement employeurs.

Du fait de la complexification des réseaux de distribution, les négociants historiques ne commercialisent plus que rarement directement aux consommateurs et ils confient à des circuits de distribution le soin de porter leur production aux clients, en contact, eux, avec les « derniers metteurs en marché » … sauf lorsqu’ils sont eux-mêmes cavistes.

Les opérateurs amont négociants sont donc légitimement associés à des dynamiques économiques agricoles, qui par essence sont très dépendantes des conditions saisonnières qui pèsent sur l’offre.

A contrario, les réalités des cavistes sont celles de commerçants et leurs dynamiques économiques, dans une société de grande consommation telle que celle qui s’est développée et mondialisée depuis les années 50, sont étroitement dépendantes des conditions de la Demande.

Par ailleurs, le cœur d’activité des cavistes concernant les boissons dites alcooliques (vins et/ou bières, spiritueux), ils sont exposés :
–          d’une part à l’évolution des attentes de leurs clientèles qui ne considèrent plus (ou pas) le vin (notamment) comme produit de consommation journalière donc « obligatoire »
–          et d’autre part aux règlementations restrictives concernant l’accessibilité et la communication autour de cet univers, qui les pénalisent par rapport à d’autres commerces.

C’est parce qu’ils font la synthèse de ces deux univers aux dynamiques différentes voire opposées que les cavistes sont si utiles à la filière : contrairement à d’autres formes de commerce, ils (elles) ne se contentent pas de digérer via le seul prix ces deux logiques économiques, ils y intègrent d’autres champs de différenciation, qualitatifs et culturels.

Au sein du SCP, les cavistes revendiquent en effet cette spécificité de leur métier qui les positionne au-delà des 2 grands univers que leur impose de choisir le modèle institutionnel actuel. Et c’est en affirmant leur positionnement de commerçants mais en renforçant sa dimension spécifique qu’ils peuvent exister en tant que profession.

Réforme de l’état et des représentations professionnelles par branche

Dans le cadre de la  Modernisation du dialogue social, un vaste chantier de restructuration des branches professionnelles a été officiellement lancé lors de la Commission nationale de la négociation
collective du 22 septembre 2014, à la suite de laquelle un groupe de travail s’est réuni à quatre reprises. Il vise à réduire significativement le nombre de branches existantes, (dont certaines n’ont plus d’activité ou de raisons d’être) pour le faire passer de 700 aujourd’hui à une centaine dans 10 ans.

Du fait d’une activité effective, l’existence même de l’AFFLEC semble ne pas devoir être remise en cause  car identifiée comme faisant partie des 50 branches les plus dynamique en terme de dialogue social. Il nous faudra suivre ce qu’il en est et ce qui sera aussi le fait de la CNVS qui concerne aussi des cavistes.

Cependant, ce vaste chantier s’accompagne d’autres réformes de fond destinés à améliorer la représentativité des professionnels. Et à l’heure actuelle c’est l’application de cette réforme ou plutôt les jeux tactiques qu’elle favorise, qui fait évoluer les positions internes.

En effet, du fait de toutes ces strates administratives et technocratiques, la négociation entre opérateurs devient, au mieux, brouillée et, dans les faits, très compliquée et très éloignée du terrain. Ce problème de démocratie est particulièrement sensible dans les secteurs composés de petites ou toutes petites entreprises.

C’est pour y remédier que le Ministère du Travail a revu les règles et la répartition des votes au sein des Organisations professionnelles (donc au sein de l’AFFLEC ou de la CNVS).

A partir de 2017, les fédérations patronales qui pourront y siéger devront :
– satisfaire aux 5 critères suivants : (1) le respect des valeurs républicaines, (2) l’indépendance, (3) la transparence financière, (4) une ancienneté minimale de 2 ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation, (5) l’influence ;
– disposer d’une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche ;
– réunir un nombre d’entreprises adhérentes, à jour de leurs cotisations, représentant au moins 8 % de l’ensemble des entreprises adhérant à des organisations professionnelles d’employeurs de la branche.

Différents critères s’ajoutent à ces principes et transforment l’application de cette réforme simplificatrice de l’état en véritable usine à gaz.

La voix des cavistes risque de ce fait de se retrouver encore plus diluée dans ces instances paritaires revues et leurs spécificités encore moins prises en compte.

Coup de force de la GD qui s’invite à la table

Les nouveaux critères exigés par l’état pour justifier de la représentativité des organisations professionnelles compliquent en effet les cartes.

Plus encore que pour les syndicats de salariés, la complexité de cette démocratie très administrative la rend opaque pour de nombreux entrepreneurs, dont les cavistes, qui ne comprennent pas l’utilité d’adhérer aux syndicats patronaux chargés de les y représenter.

En effet, comment expliquer simplement à des cavistes indépendants, sur le terrain du matin au soir pour créer la Valeur Ajoutée dont ils ont besoin pour la pérennité de leur entreprise, de la nécessité de s’investir dans des instances aussi complexes ?

Et comment dès lors justifier des adhésions qui, bien que minimes dans le cas du Syndicat des Cavistes Professionnels (25 €/an/point de vente), sont les premiers postes non immédiatement productifs que les conseils de comptables tendent à remettre en cause ?

Pourtant, et même si dans le cas des cavistes la dynamique constructive du SCP permet une base déjà appréciable (le SCP agit aussi sur les autres dimensions permettant de défendre les intérêts des cavistes : communications, défense du métier et de la visibilité dans des sujets type Loi Evin, dynamisation clientèles, etc), la taille même du circuit (5500 points de vente dont 20% associés à des réseaux la plupart du temps structurés via des centrales d’achat-grossistes représentés par la CNVS et non pas par l’AFFLEC) rend l’exercice difficile.

En effet, même associés aux épiciers et autres commerces de proximité alimentaire siègeant actuellement à l’AFFLEC, les capacités d’adhésions plafonnent à quelques centaines voire milliers d’entreprises indépendantes qu’il faut aller chercher une par une et convaincre.

Des difficultés très pénalisantes face aux nouvelles enseignes de grande distribution installées en centre-ville qui font adhérer de fait tous leurs gérants. Ces petites surfaces issues de la grande distribution sont par ailleurs employeuses de nombreux personnels, alors que les cavistes et leurs collègues épiciers, fruitiers, fromagers travaillent le plus souvent seuls ou avec 1-2 collaborateur(rice)s.

Le renouvellement du commerce de proximité incite en effet la GD traditionnelle à réinvestir les centre-ville et à y négocier des réglementations voisines de celles ayant cours pour les grandes et très grandes surfaces (latitudes d’ouvertures des commerces  en terme de travail du soir, d’ouverture dominicale, de suppression des arrêtés préfectoraux de fermeture, etc).

Pour y parvenir, ces enseignes, qui interviennent en tant que grandes entreprises dans d’autres organisations professionnelles, ont décidé d’agir également dans les commissions dédiées jusqu’ici aux « petits commerces ». Profitant de la réforme en cours, elles ont donc récemment créé un nouveau syndicat patronal, la  FECP (Fédération de l’Epicerie et des Commerces de Proximité), absorbant pour se faire un syndicat moribond d’épiciers non affiliés aux principales fédérations et qui leur confère ainsi un historique supérieur aux 2 ans exigés par la loi pour pouvoir siéger au sein de la branche. Ce coup de force, avec près de 5000 adhérents d’un coup et un taux d’employés concernés très conséquent, renverse ainsi le tour de table et rend minoritaire voire menace d’éliminer les fédérations représentatives de commerçants spécialisés des discussions qui concernent pourtant leur relation avec leur personnel… et leurs spécificités ! Car les financements de ces institutions sont donc également remises en cause donc leurs actions juridiques, de lobbying, de communications institutionnelles … et de formations.

Les Epiciers, Cavistes, Commerces Bio (FNDECB) et les Fromagers-Cremiers (CFPL) mutualisent les moyens, vers davantage de services et d’efficacité pour les professionnels syndiqués.

Pour contrer ce coup de force, la FNDECB et la fédération représentative des crémiers-fromagers (Fédérations des fromagers de France) ont choisi de se rapprocher. Ce rapprochement doit permettre de mutualiser au mieux leurs moyens pour faire face à la baisse des ressources de fonctionnement dès 2017 et de construire un rapport de force permettant à cette future nouvelle entité de rester présente dans les discussions sociales.

Si dans l’absolu cette réorganisation atteste de l’intérêt de rebattre les cartes pour contraindre les institutions à travailler à davantage d’efficacité, à court terme le risque est réel et grand que seule la grande distribution déguisée puisse siéger à la convention collective concernant les cavistes en 2017.

Aller au delà et construire une grande fédération des différents commerces alimentaire SPÉCIALISES ?

Lorsque la FNDECB a proposé au dynamique SCP de contribuer plus activement dans les instances patronales, les administrateurs du SCP, essentiellement motivés pour travailler sur les autres dimensions plus immédiatement opérationnelles du projet SCP, ont mûrement réfléchi à ce que les cavistes peuvent attendre de ces institutions très technocratiques.

Leur réponse engage donc l’avenir de la FNDECB : pour les cavistes, l’institution n’a de valeurs que dès lors qu’elle parvient à dépasser ses inerties et opacités actuelles. Ce postulat va aussi dans le sens de la réforme de l’état en cours, mais pour pouvoir réellement porter là où ce serait utile, donc dans les lieux de lobbying qui réellement influent sur l’évolution des lois et notamment celles sur la concurrence. Pour les cavistes du SCP, l’objectif est ambitieux mais clair : il faut faire reconnaître juridiquement une notion de Commerces spécialisés qui permettent d’être mieux pris en compte dans les futures règles sur la concurrence.

Pour se faire, et même si ce projet semble ambitieux et prendra du temps, une première étape sera de fédérer les autres commerces de bouche spécialisés autour de cette idée. Un projet qui implique, au-delà même des professions représentées par l’Afflec, de se rapprocher des autres organisations professionnelles voisines (bouchers, boulangers, …).

L’union fait la force, un vrai challenge pour des professions composées de très nombreux commerçants indépendants…

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